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s’écoulera plus un long temps avant que les Américains renouent connaissance avec l’agio de l’or. Le Trésor peut, il est vrai, emprunter encore 250 millions comme il l’a fait en février. Ces deux emprunts auront accru de 25 millions la charge annuelle de la dette, sans autre résultat que délaisser le Trésor, après huit mois, dans la même détresse, et le pays devant le même problème redoutable du déficit budgétaire et de la dépréciation de la monnaie. Le gouvernement ferait mieux d’emprunter 1 750 millions de francs en 3 pour 100 afin de rembourser en or les 350 millions de dollars de greenbacks, ce qui augmenterait d’une cinquantaine de millions de francs le service de la dette, mais sauverait la situation. Les greenbacks sont de simples billets d’État, des assignats émis pendant la guerre de la sécession. Ils n’ont été délivrés ni contre or ni contre argent, mais des lois ultérieures les ont déclarés remboursables en or, et c’est pour assurer ce remboursement que le Trésor doit maintenir une réserve d’or de 100 millions de dollars (500 millions de francs). Cette réserve était tombée il y a quelques mois à 75 millions de dollars, le ministre des finances ayant dû l’entamer après épuisement de toutes les autres ressources. À l’aide du produit de l’emprunt de 250 millions, le montant a pu être relevé passagèrement au-dessus de 100 millions. Mais les embarras ont surgi de nouveau, plus pressans, et la première quinzaine de juillet a vu la réserve destinée aux greenbacks tomber au niveau le plus bas depuis le commencement de la crise, à moins de 65 millions de dollars.

S’il est indifférent aux Américains que leur or émigré, ils n’ont qu’à laisser les choses aller comme elles vont en ce moment. Si le maintien de l’étalon d’or leur tient à cœur, ils devront se résoudre à rembourser leurs greenbacks et du même coup à réformer leur système de banques.

L’or des États-Unis n’est qu’une partie de la masse de métal jaune qui ne cesse d’affluer depuis deux ou trois années dans les deux grandes Banques de France et d’Angleterre. Cette accumulation si remarquable est avant tout une conséquence de la prolongation de l’état de crise où se trouvent presque tous les pays débiteurs. Le crédit de la République argentine est ruiné ; la guerre civile a fortement ébranlé celui du Brésil. Après le dernier krach australien, les capitaux anglais n’ont plus été disposés à alimenter les dépôts des banques de Melbourne et de Sydney. L’Inde souffre de la crise de l’argent ; depuis que ses monnaies sont fermées à la frappe de ce métal, ses excédens si considérables d’exportation ont disparu, ventes et achats se faisant désormais équilibre ; mais le change condamne ses finances au régime