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tout autant que si les corps étaient dessous, n’est-ce pas ?

Stover parlait d’un air qui fit comprendre aux camarades qu’il pensait à une autre pierre dressée en mémoire de son frère unique dont la tombe sans nom était perdue quelque part là-bas dans le désert.

— Et on nous en voudra à mort si nous ne défilons pas devant toutes les maisons de la ville, ajouta-t-il un peu inquiet, tandis que les trois amis se levaient pour rentrer chez eux. C’est une population terriblement dispersée que celle de Barlow pour lui faire les honneurs d’une procession !

La nuit était douce, scintillante d’étoiles. Ils s’en allèrent chacun d’un côté différent, laissant la route des Plaines et traversant les champs par de petits sentiers qui conduisaient à leurs fermes respectives.


II

La semaine s’écoula et l’aube du samedi amena le beau temps Ce fut dans les fermes une matinée active comme d’habitude ; mais, longtemps avant midi, les attelages de chevaux et de bœufs rentrèrent du travail des champs, et, à la hâte, les gens s’apprêtèrent pour le grand événement de l’après-midi. Il était si rare qu’une occasion quelconque éveillât l’intérêt public à Barlow qu’on avait répondu à l’appel avec un élan imprévu ; le tapis vert devant l’église blanche était couvert de charrettes et de groupes pressés, des familles entières étant venues à pied. Les vieux soldats devaient se rencontrer au temple ; à une heure et demie le cortège sortirait, et à son retour le ministre prononcerait une allocution dans l’ancien cimetière. Stover avait été lieutenant à l’armée, il fut donc choisi pour commander la troupe. Un tambour de la ville voisine offrit ses services et, transporté d’orgueil, le gars de Martin Tighe était présent avec son fifre. Il rêvait, — chose étrange parmi cette population paisible d’éleveurs de moutons, — il rêvait d’aller à l’armée ; mais lui et son aîné étaient les seuls soutiens de leur père infirme, et il ne pouvait manquer à la maison jusqu’à ce qu’un plus jeune frère eût pris sa place ; de sorte que tout son feu, tout son zèle militaire s’évaporaient pour le moment en musique martiale : le fifre servait de soupape de sûreté à son enthousiasme.

Les vieux soldats avaient l’habitude de se voir, car tout le