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à peine à sa défaite : Mgr de Quélen se rendit à son lit de mort et la réconcilia avec l’Église. Trente fidèles à peine suivirent le char funèbre de celle qui avait obligé des milliers de personnes.

Mlle Georges Weymer eut pour première recommandation sa rare beauté, cette beauté que Raucourt, qui la découvrit à Rouen, appelait : « un bel outil de tragédie », beauté grâce à laquelle elle garda assez longtemps les bonnes grâces de Bonaparte, celui de ses usufruitiers ou de ses favoris qui lui laissa peut-être le souvenir le plus profond, car dans sa vieillesse même, elle ne parlait de lui qu’avec un tremblement dans la voix. Jamais des yeux plus noirs, plus expressifs n’ont paré la figure d’une femme. C’est Melpomène descendue de son cadre, opine Geoffroy, très féru de Georges et toujours un peu suspect dans ses jugemens ; mais les habitués de la Comédie lui trouvent plus d’intelligence et d’imitation que d’âme et de chaleur. La volonté, l’art, les leçons de Talma suppléent aux dons naturels, lui font une diction simple, naturelle ; une pantomime admirable, une entente profonde du costume, établissent sa supériorité dans certains rôles de reine : Mérope. Clytemnestre, Agrippine. Au début, Raucourt stimulait son inertie d’une manière assez plaisante : « La paresseuse ! Au lieu de se préparer à avoir un bel appartement, elle aime mieux rester sur son grabat de la rue Clos-Vougeot ! » La paresseuse d’instinct devint la laborieuse de raison ; mais, à travers les hasards d’une existence fort accidentée, elle garda toujours quelque chose de l’indolence native, et comme une sorte de fatalisme qui l’incitait à compter sur son étoile. Il semble que l’imprévu, l’extraordinaire exercent une fascination sur cette femme, qu’elle sente s’agiter devant elle une destinée où le hasard doit déjouer les calculs de la prévoyance. Telle nous la retrouvons à chaque étape de sa vie, à la Comédie-Française, à l’Odéon, à la Porte-Saint-Martin, en Allemagne, en Angleterre, en Russie, en Turquie, directrice de troupes nomades, toujours aventureuse et éprise d’invraisemblable, cherchant le bonheur en dehors des conditions normales du bonheur, pareille à cette plante des steppes qui ne peut se fixer nulle part, roulée de-ci de-là par la fatalité. Quelle odyssée piquante que son voyage en Russie ! Un beau matin de 1808, créanciers, camarades de la Comédie apprennent qu’elle a quitté Paris. La nouvelle se répand aussitôt. Et son engagement ? Et ses dettes ? Pourquoi est-elle partie ? Eh mais, le danseur Duport, déguisé en femme, a filé le même jour sans tambour ni trompette ! Quelle bizarre coïncidence ! Eh bien, ils se sont enlevés réciproquement ! Mais Duport est-il le prétexte ou le but même du voyage ? Et les malins d’observer qu’à une personne comme Georges il faut un compagnon pour charmer les