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de raison : une raison raisonnable, bourgeoise, où entrent à doses inégales la prudence, le jugement, avec un grain d’égoïsme et quelque désir secret de ne point se heurter trop rudement aux choses, la raison de Mme Geoffrin ; et puis une raison sublime, qui ne se contente pas de triompher aujourd’hui, mais qui s’inquiète du lendemain, et, sans perdre l’équilibre, la mesure, prend sa source dans le dévouement, s’alimente à tous les foyers de l’idéal. Menacée pendant la Terreur, mise en surveillance à son château d’Ivry où elle avait obtenu qu’on la transférât quelque temps après son arrestation, Louise Contat sauve un de ses persécuteurs qui, proscrit à son tour, fait appel à sa pitié, le cache plusieurs jours dans sa chambre et lui porte elle-même sa nourriture ; mais ayant appris qu’on va faire des perquisitions, elle met dans la confidence la jardinière, prend sa place, déguise son hôte en garçon jardinier, va vendre les légumes et le lait à Choisy-le-Roi ; là elle débite fort bien sa marchandise, plaisante avec les villageois, remet au proscrit de l’or, un passeport qui lui permettent de gagner Villeneuve-Saint-Georges et la forêt de Sénart.

Gens de lettres et comédiennes ont toujours cherché à se rejoindre ; intérêts, but, caractère, tout crée entre eux des affinités qui se résolvent en galanterie, en amitié, en amour ; ceux-là inventent ce que celles-ci exécutent ; gloire et profits, succès et échecs leur sont communs, et communs aussi le lieu du triomphe, le juge qui décerne la palme et les sifflets. Louise Contat eut beaucoup d’amis parmi eux, et, en 1792, ils constituaient sa principale société. C’étaient, pour rappeler quelques noms : — Vigée, que son esprit ne gardait pas assez du bel esprit, passablement dogmatique, susceptible et enclin au pédantisme, au demeurant assez brave homme et rachetant ses travers par des qualités solides, auteur de trois comédies, les Aveux difficiles, la Fausse coquette, l’Entrevue, qui réussirent jadis, et d’un vers qu’on peut citer encore :


Je suis riche du bien dont je sais me passer…


— Desfaucherets, excellent fonctionnaire, mais homme du monde avant tout, boute-en-train des salons, improvisateur de proverbes, de comédies dont l’une, le Mariage secret, fut aussi bien accueillie au Théâtre-Français qu’elle l’avait été [dans la société pour laquelle il l’avait d’abord représentée. Les courtisans daignèrent l’attribuer à Louis XVIII, — comme ils lui attribuèrent le Marius à Minturnes d’Arnault, et ce quatrain de Lemierre pour un éventail :


Dans les temps de chaleurs extrêmes, Heureux d’amuser vos loisirs. Je saurai près de vous amener les Zéphirs ; Les Amours y viendront d’eux-mêmes.