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régler l’emprunt de la veille, une légion d’huissiers à ses trousses, il pliait sous tant de charges et dut déposer son bilan. Le théâtre de la République est fermé, les acteurs de l’Odéon se forment en société provisoire et tiennent bon quelques semaines, mais survient l’incendie (18 mai 1799) qui met à néant cet essai de self government dramatique. Du moins l’incendie arrivait-il à propos pour les anciens entrepreneurs, car les commissaires chargés de dresser procès-verbal de l’état des lieux avaient constaté de prime abord un déficit de 150 000 francs, et Le Page avait refusé de signer le procès-verbal, déclarant qu’il mettrait le feu à la salle plutôt que de signer sa condamnation. Le lendemain, l’incendie se déclarait en plusieurs endroits, notamment près de la pièce où se trouvaient les procès-verbaux, et, en moins de quatre heures, du plus beau théâtre de Paris il ne restait guère que des cendres. Picard, l’auteur-acteur, ne retrouva qu’une culotte de sa garde-robe. « Ah ! dit Naudet, pour nous forcer de déménager, voici une assignation bien chaude. « Sageret et Le Page, arrêtés comme incendiaires, furent, relâchés quelque temps après, faute de preuves décisives.

L’incendie opéra la réunion tant désirée : François de Neufchâteau, ministre de l’Intérieur et homme de lettres, travailla avec ardeur à aplanir tous les obstacles, à apaiser les prétentions particulières, les rancunes mal éteintes. Il fallut aussi passer pardessus la protestation des auteurs dramatiques, — Beaumarchais, Colin d’Harleville, Legouvé, Arnault, Laya, Demoustier, etc., — qui renouvelèrent leurs doléances contre l’idée de rétablir ce que la Révolution avait détruit, et, dans l’intérêt de la concurrence, réclamaient deux théâtres protégés par le gouvernement. Le théâtre de la rue Richelieu s’ouvrit le 30 mai 1799 avec le Cid et l’Ecole des maris ; il eut pour commissaire du gouvernement Mahérault et comme sociétaires par rang d’ancienneté, en hommes : Molé, Monvel, Dugazon, Dazincourt, Fleury, Vanhove, Florence, Saint-Prix, Saint-Phal, Naudet, Larochelle, Talma, Grandménil, Alexandre Duval, Caumont, Michot, Baptiste cadet, Baptiste aîné, Damas, Armand, Lafon ; en femmes : Mmes Lachassaigne, Raucourt, Suin, Louise Contat, Thénard, Devienne, Emilie Contat, Petit-Vanhove, Fleury, Mézeray, Mars cadette, Bourgouin, Volnais. Les pensionnaires étaient : Desprez, Lacave, Dublin, Marchand, Mmes Gros, Durosiers et Patrat. Paris, qui comptait alors 23 théâtres, 644 bals, d’innombrables concerts et maisons de jeux, n’avait pu alimenter deux théâtres français, comme si la force même des choses s’opposait à cette combinaison. À cette époque, d’ailleurs, la quantité plaît plus que la qualité, beaucoup de grandes fortunes d’autrefois