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tragédie, comédie, opéra dialogué, tout sera son domaine et sa proie ; l’Odéon repeuplera les déserts du faubourg Saint-Germain, donnera de la valeur aux propriétés. Hélas ! un mois s’est à peine écoulé, et la recette moyenne tombe à 150, 200 francs. Thiases (bals) où les hommes sont invités à ne point se présenter en bottes, concerts, banquets patriotiques n’arrêtent point la déroute ; et Dorfeuille cède la place à ses associés, « deux hommes nuls, dit-il, pour lesquels l’art n’est rien et l’intérêt tout, » qui vivotent quelque temps avec une troupe médiocre. Du reste royalistes et républicains en prennent à leur aise avec ce théâtre : c’est de là que le 13 vendémiaire les sections insurgées du faubourg Saint-Germain s’élancent à l’attaque des Tuileries ; laque s’installent les auteurs du 18 fructidor, avec les membres fidèles du Conseil des Cinq Cents. La séance, ouverte à dix heures sous la présidence du général Lamarque, se prolonge jusqu’à cinq heures, est reprise à sept ; le bureau à l’avant-scène, les représentais à l’orchestre, tandis que les simples citoyens font l’office de la claque et remplissent les loges. C’est là que le Conseil condamne à la déportation Barthélémy, Carnot, 53 députés ; les séances continuèrent quatre jours encore ; une commission militaire, chargée de punir les ennemis du Directoire, y siégea quelque temps aussi, — et jamais les entrepreneurs ne reçurent un liard d’indemnité[1].

Quelque temps après, Le Clerc fait appel à la troupe tragique de Louvois ; et celle-ci tout d’abord attire le public, au grand mécontentement du Journal des hommes libres, qui aurait volontiers envoyé à la guillotine sèche Sa Majesté Impériale et Royale Raucourt, comme « directrice d’un vrai club royal. » Et puis recommence l’éternel refrain : les recettes fléchissent ; la langueur, l’anémie, la déconfiture menacent ; les jours où joue Raucourt, on fait 2 500 francs dont elle emporte 500, les autres jours, on tombe à 300. Voici le tableau des neuf dernières représentations :


Prairial an VI (1798) Recettes brutes francs
20 mai 1708 Médiocre et Rampant, le Conteur 635
21 — L’École des femmes, l’Avocat Pathelin 118
22 — Rhadamis et Zenobie, la Feinte par amour 1 510
24 — Mahomet, le Conteur 528
26 — Iphigénie en Aulide, la Pupille 1 026
27 — Le Barbier de Séville, le Jeu de l’Amour 226
28 — La Métromanie, le Conteur 361
29 — Eugénie, le Mercure galant 384
1er juin 1708 Au bénéfice de la citoyenne Raucourt : Œdipe 9 000
  1. Revue rétrospective, 1889, 1er août. — Voyage d’un Anglais à Paris, p. 78. — Grimod de la Reynière, le Censeur dramatique. — Mémoires et comptes relatifs à la réunion des artistes français, à l’administration des trois théâtres de la République, de l’Odéon et de Feydeau, par le citoyen Sageret, an VIII. — De Goncourt, Histoire de la Société française sous le Directoire.