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membres d’une famille si cruellement déchirée, les tournées en province où l’on comble les trous du budget, forment un des chapitres les plus embrouillés de notre histoire dramatique. En 1794, le Comité de Salut public statue que le ci-devant Théâtre Français deviendra théâtre du Peuple, puis théâtre de l’Egalité, sera rouvert sans délai, consacré à des représentations données de par et pour le peuple ; il prescrit la translation de la troupe Montansier à la salle du faubourg Saint-Germain ; la municipalité donne l’ordre d’y construire un amphithéâtre populaire et démocratique de l’orchestre au plafond. L’ouverture a lieu le 27 juin 1794 avec un spectacle composé de : Point de compliment, prologue ; la parfaite Égalité ou les Tu et les toi, comédie eu trois actes de Dorvigny ; le Bourru bienfaisant, de Goldoni, et le Serment civique de Marathon, scène patriotique avec chœurs, du citoyen Kreutzer. Le prologue renfermait des couplets destinés à indiquer l’esprit de la troupe Montansier :

Surtout respectons la jeunesse ;
Qu’en ce lieu jamais rien ne blesse
Les yeux, les esprits et les cœurs !
Il faut que la scène s’épure :
Un peuple libre veut des mœurs ;
Les rois dépravaient la nature.

C’est là, dans leur vieille salle d’autrefois, si singulièrement sans-culottisée, que les comédiens rendus à la liberté après le 9 thermidor, cherchent leur premier abri. Le samedi 16 août, ils font une rentrée triomphale avec la Métromanie et les Fausses confidences (Fleury, Naudet, Dazincourt, Mlles Contat et Devienne). Le spectacle dure huit heures ; Louise Contat se trouve mal à la première scène, Fleury verse des larmes de joie. Mais la mésintelligence les sépare de la troupe Montansier, le théâtre de l’Égalité ferme, faute de combattans, jusqu’en 1797, et ils débutent le 27 janvier 1795 au théâtre Feydeau, situé sur l’emplacement actuel de la rue de la Bourse, à deux pas de la salle Favart, de la salle Louvois et du théâtre de la République ; là, ils alternent avec l’Opéra et des concerts où se fait entendre Garat ; le vieux Préville, âgé de 74 ans, reparait dans le Bourru bienfaisant, et leur prête quelque temps son concours.

La discorde se met dans la société à la fin de 1796 : les tragiques, sous la direction de Raucourt, passent au théâtre Louvois, qui, ouvert en 1791, s’appela le Théâtre des Amis de la Patrie et semblait plutôt une caserne ou une maison bourgeoise qu’un théâtre. Raucourt tente de réconcilier les trois troupes, elle écrit