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mettait à cheval, et deux petits tableaux peints aussi par Velazquez (collections du marquis de Westminster et de sir Richard Wallace) nous montrent ce même petit prince au manège, prenant sa leçon sous les yeux de ses parens et la surveillance d’Olivarès, son grand écuyer. Sérieux, impassible, le regard assuré, le gamin s’élance à travers l’espace. Les extrémités de son écharpe rose flottent au vent et il porte lui aussi le bâton de commandement. Ces campagnes vers lesquelles il dévale, ce grand pays ouvert, avec ses plaines semées d’arbres et ses montagnes couvertes de neige, tout cela doit être un jour à lui. Où qu’il ville il est le maître, et son petit visage respire déjà un air d’autorité. L’atmosphère est tiède et le ciel, d’un bleu profond, s’égaie de quelques nuages blancs ; il semble que l’avenir sourie au royal enfant, tant cette image est lumineuse, animée et charmante. Vers la même époque, dans un autre portrait du Prado, Velazquez a représenté don Balthazar encore plein de vie et de santé, tenant en main un fusil de chasse et flanqué de ses chiens favoris, l’un gros, épais, somnolent, l’autre une fine levrette, à l’air éveillé, tous deux peints d’une manière expéditive, mais avec cette sûreté de touche qui n’appartient qu’au maître. D’année en année, d’autres portraits suivront encore, dont plusieurs sont destinés à être envoyés à des cours voisines, car on songera de bonne heure à marier ce rejeton d’une souche qui semblait épuisée. À peine âgé de dix-sept ans, il était déjà fiancé à l’archiduchesse d’Autriche, sa cousine, quand tout à coup une fièvre pernicieuse contractée à Saragosse l’enleva dans l’espace de huit jours. Moins d’une heure après sa mort, Philippe IV, habitué qu’il est à refouler l’expression des sentimens les plus naturels, reprenant la plume que l’émotion faisait tomber des mains de son secrétaire, annonce au marquis de Leganes la perte qu’il vient de faire. Après lui avoir parlé de sa soumission à la volonté divine, il recouvre aussitôt le sentiment de son devoir de roi pour lui transmettre ses ordres, car « ses sujets étant désormais ses seuls enfans, il entend se consacrer entièrement à leur service. » Mais avec les habitudes que peu à peu il s’était faites, le train de la cour, bien plus encore que le soin de son royaume, allait bien vite le reprendre et apporter une diversion à son chagrin.


EMILE MICHEL.