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dominent dans le tableau compose une harmonie aussi franche que distinguée.

Le portrait équestre d’Olivarès a, sinon plus de style, du moins plus de mouvement ; la peinture en est plus magistrale et l’effet plus saisissant. Aussi, contrairement à l’opinion de M. Justi, serions-nous disposé à le croire un peu postérieur. Avec sa crinière abondante et son encolure ramassée, le cheval, vu de biais, se présente en raccourci, ce qui ajoute au pittoresque. Tout frémissant, arc-bouté sur ses pieds de derrière, ce cheval donne bien l’idée de ces coursiers andalous, véritables bêtes de combat, car cuivrés par l’odeur de la poudre, on les voyait s’exciter encore au bruit et au tumulte de l’action. Quant au cavalier, revêtu d’une cuirasse, portant le bâton de commandement, calme mais résolu, il tourne à demi vers le spectateur son visage énergique à la moustache épaisse, aux crocs fièrement retroussés. Au loin, des tourbillons de fumée s’élèvent au-dessus d’une ville incendiée et se mêlent aux lueurs d’une vivo canonnade. Des troupes s’ébranlent et çà et là des cadavres jonchent le sol. On jurerait un général d’armée qui donne ses derniers ordres à ses soldats et leur indique du geste le point décisif qu’il s’agit d’emporter. L’image cependant est menteuse, et si, durant les longues années de la triste administration d’Olivarès, l’Espagne n’a pas connu la paix, du moins le ministre de Philippe IV n’a jamais paru en personne sur un champ de bataille. Désireux de passer à la postérité sous cette apparence martiale, il a probablement commandé à son protégé cette œuvre trompeuse que celui-ci, pour honorer son Mécène, a peinte avec une fougue et une crânerie surprenantes. Là aussi le visage, s’enlevant sur un ciel bleu verdâtre, attire tout d’abord l’attention. Seul le regard interrogateur et soupçonneux jure avec l’animation de la figure, avec la mâle expression des traits, et, en dépit de cette mise en scène complaisante, témoigne de la sincérité involontaire de l’artiste.

En revanche, Velazquez n’avait pas à se guinder pour un autre portrait équestre, celui de l’infant don Balthazar, qu’il exécuta vers 1635. C’était là un sujet bien fait pour son talent et qui lui a inspiré un de ses meilleurs ouvrages. On ne saurait oublier, quand on l’a vu, ce bambin de six ans, vêtu d’un riche costume vert brodé d’or, emporté par le galop du gros cheval brun sur lequel il est juché. Ainsi pomponné, le visage ombragé par un large chapeau noir à plumes, l’enfant est bien en selle ; on dirait déjà un cavalier accompli, et de fait, en Espagne, ces fils de roi étaient, dès le plus jeune âge, rompus à l’équitation. Un proverbe andalou nous apprend qu’à peine sortis du berceau, on les