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à être envoyée au sculpteur pour lui servir de modèle. Dans le tableau du Prado, — no 1066, — le roi est représenté de profil, le bâton de commandement à la main, à cheval sur une de ces grosses et massives montures fort à la mode en Espagne à cette époque. Coiffé d’un chapeau à plumes, il porte une cuirasse d’acier bruni garnie de clous dorés et une culotte brune. Autour de son corps est passée une écharpe d’un rose vineux, dont les extrémités d’un pourpre plus vif sont bordées d’une frange d’or et flottent librement au vent. Derrière lui s’étendent les vastes perspectives d’un paysage largement ouvert, avec un cours d’eau qui serpente à travers des plaines boisées et des montagnes. Au lieu des colorations conventionnelles des fonds et de la pose un peu théâtrale que Titien donnait à Charles-Quint dans son célèbre portrait équestre de cet empereur, Velazquez s’arrête ici à un parti plus réel et il adopte pour son cavalier une attitude d’une vérité absolue. La louange n’en était que plus délicate, car Philippe IV était un des meilleurs écuyers de son royaume. En dépit de la complication du problème, ce qui domine dans cette œuvre, c’est la grâce et la noble simplicité de cette figure si bien en selle. La monture, loin d’absorber l’attention, ne sert qu’à mieux mettre en relief l’aisance et la belle tenue du roi. Pour avoir su donner à sa composition une silhouette à la fois si juste et si sculpturale, il fallait à l’artiste une connaissance parfaite des proportions et des allures du cheval, et cette connaissance, il l’avait évidemment acquise de bonne heure, puisque dès son arrivée à Madrid, il avait été capable d’exécuter ce premier portrait équestre, aujourd’hui disparu, dont le succès avait décidé de sa carrière. Mais depuis qu’il était à la cour, Velazquez n’avait pas cessé d’accroître son habileté à cet égard, grâce à son esprit d’observation et probablement aussi grâce à sa pratique personnelle du cheval. En même temps que la disposition des lignes et des masses assure à la silhouette du personnage toute son importance, les colorations, elles aussi, sont combinées de telle sorte que, malgré les grandes dimensions de la toile, le regard se reporte naturellement vers la figure. Bien que très modérés, les tons gris, verts ou bleuâtres du ciel et du paysage soutiennent heureusement les carnations et en font ressortir la fraîcheur. Sans recourir aux contrastes forcés usités par ses devanciers et dont ses premières œuvres elles-mêmes n’étaient point exemptes, le maître aborde résolument ici le redoutable problème du plein air. Les oppositions mieux réparties des nuances assurent un ressort suffisant à sa peinture et avec des contours plus enveloppés, les localités toujours respectées maintiennent l’équilibre. Enfin le jeu des verts et des roses qui