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qu’on le croie bien, un mince mérite que cette exactitude absolue des mises en place pour un peintre auquel était refusé le bénéfice des croquis et des préparations. Évidemment, avant de s’installer à son chevalet, il avait beaucoup pensé à sa tâche ; il était fixé sur la marche à suivre, sur les moyens à employer en vue de la fin la plus expéditive et la meilleure. Aussi, pour qui sait voir, quelle décision, quelle intelligence, quelle concentration de la volonté supposent ces œuvres qui semblent faites si librement, comme en se jouant ! Que de difficultés cependant, que de problèmes abordés de front pour régler, comme il le fait, l’éclairage du modèle, et son attitude ; pour arrêter la silhouette, le choix du mouvement et l’expression de la figure ! Tout procède chez lui d’un art accompli, mais qui se dissimule avec soin et donne l’illusion de la réalité pure.

C’est donc avec raison qu’on a parlé de la facilité de Velazquez, et une telle réunion des plus rares qualités suppose évidemment les dons les plus heureux. Mais il faut ajouter que l’artiste les a fécondés par un effort continu. Il a toujours eu pour lui-même les exigences les plus sévères. Sans jamais céder à la virtuosité, il se surveille, se reprend et se corrige toutes les fois qu’il se trouve en faute ou qu’il pense améliorer son œuvre. Ses nombreux portraits du roi nous en fourniraient au besoin la preuve, par les traces de repentirs qui y sont restées visibles ; mais peut-être le portrait en pied de Ferdinand, le frère de Philippe IV, est-il plus intéressant encore à étudier à cet égard. Né à l’Escurial le 26 mai 1609, le prince avait été, dès l’âge de quatorze ans, nommé cardinal, sans qu’il eût la moindre vocation pour la carrière ecclésiastique. Quand plus tard, sur les instances de la princesse Claire-Eugénie, sa tante, il fut chargé de la seconder dans le gouvernement des Flandres, il avait de nouveau prié son frère « de le dispenser de son habit de cardinal, car il se croyait fait pour la guerre. » En 1633, il quittait l’Espagne pour n’y plus revenir : mais c’est vers 1628 que Velazquez, avant son départ pour l’Italie, avait peint de lui un portrait, qu’il remania notablement plus tard. La ressemblance avec Philippe IV est frappante ; l’ovale du visage est seulement plus allongé. Mais la physionomie respire l’intelligence et la bonté ; il devait, en effet, révéler dans son gouvernement les qualités d’un habile administrateur et tous ceux qui l’approchèrent parlent avec les plus grands éloges de son affabilité et du charme de sa personne. Il garda jusqu’à la fin de sa vie un goût très vif pour les exercices du corps et il se rappelait toujours avec plaisir les parties de chasse, parfois très périlleuses, auxquelles, pendant sa jeunesse, il avait pris part avec son frère dans les