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le talent de l’artiste, c’est qu’avec plus d’ampleur et des oppositions moins tranchées, il obtient un modelé plus souple et tout aussi puissant. Ses ombres, en effet, sont devenues plus transparentes et plus lisibles, et dans une gamme très austère, l’harmonie a autant de richesse que de distinction. Pour les accessoires, avec une sobriété toujours croissante, l’habileté est plus accomplie ; les corps, les draperies, les enclumes, les marteaux, les armures, tout, jusqu’au petit vase posé sur la cheminée, est exécuté avec autant de largeur que de perfection. On oublie, tant le regard est ravi, les vulgarités de la composition ; et, si le tableau n’est pas d’un lettré, il procède certainement d’un esprit très original et révèle un maître.

Malgré ses qualités d’expression, nous ne ferons que mentionner brièvement un autre ouvrage peint à la même époque : Jacob recevant la tunique sanglante de Joseph, placé aujourd’hui dans la salle du chapitre de l’Escurial. Les mêmes modèles ont servi pour les deux tableaux et le parti comme l’exécution y sont identiques. Malheureusement la peinture a souffert des injures du temps et peut-être plus encore des restaurations maladroites. Mais qu’il s’agisse de la Bible ou de la Fable, Velazquez, on le voit, conserve la même indépendance. Sans se préoccuper de ce qu’ont fait les autres, il veut se figurer lui-même son sujet. Il ne s’inspire donc que de la nature ; mais de la nature vue avec les yeux d’un observateur pénétrant et d’un artiste.


IV

Après un court séjour à Naples où il était allé faire pour Philippe IV le portrait de la reine Marie de Hongrie, Velazquez s’était probablement embarqué dans cette ville et il était rentré au commencement de 1631 à Madrid où le roi et le duc d’Olivarès lui firent le meilleur accueil. Les années qui suivirent furent particulièrement fécondes. Le peintre était alors en pleine possession de sa maîtrise, et les critiques qui se sont occupés de lui s’accordent pour désigner cette date de 1631 comme inaugurant la seconde des trois manières successives qu’ils lui attribuent. Cette désignation est, à notre avis, un peu arbitraire. S’il est des artistes qui, à raison de certaines influences, ont été amenés à modifier leur façon de peindre et qui présentent ainsi, à diverses époques de leur carrière, des tendances ou des modes d’expression dont les différences sont plus ou moins nettement caractérisées, il n’en va pas ainsi avec un talent comme celui de Velazquez. Dès ses débuts, il avait trouvé dans l’étude directe de la nature le secret de