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dans les collections, diffèrent tellement entre eux, et ils sont pour la plupart si peu intéressans, qu’il me semble difficile d’en admettre l’authenticité. Quant aux peintures de ses débuts, plusieurs nous ont été conservées qui peuvent avec quelque vraisemblance lui être attribuées. Je rangerais volontiers parmi elles un Vendangeur qui figurait à l’Exposition rétrospective de 1893 à Madrid. C’est un jeune garçon, de type assez vulgaire, vu de face, en pleine lumière. Vêtu d’une jaquette d’un jaune verdâtre et d’une culotte rouge, il tient en main une grappe de raisins, et un panier posé à côté de lui est rempli de sa récolte. Derrière, un paysage austère, à peine égayé par un cours d’eau, se déroule sous un ciel assombri dans le haut et vaguement éclairé à l’horizon. La tête, joviale et brunie par le soleil, est modelée d’une touche un peu rude, avec des ombres assez dures ; mais à la franchise de l’effet, à la force des intonations, à l’exécution déjà singulièrement habile, surtout dans les raisins, on sent le peintre épris de son art, ému en présence de la nature, et qui, dans cette simple interprétation vivement enlevée en quelques heures, a fait passer quelque chose de la flamme qui était en lui. D’une facture plus large et plus personnelle, d’autres études analogues, signalées par Palomino, — la Vieille avec un gâteau qui appartient à sir Francis Cook, et surtout le Porteur d’eau qui fait maintenant partie de la collection d’Aspley-House, et qui fut peint évidemment quelques années après, — manifestent des progrès sensibles. Dans sa simplicité même, ce dernier tableau est très caractéristique. La belle tenue, l’ampleur de la peinture, la noblesse du type de l’Aguador, la dignité de son attitude et sa fierté sous les loques dont il est vêtu, le contentement de ces deux gamins auxquels il vient de verser leur modeste régal, la gravité même de la scène, tout, contribue à faire de cette composition familière une image aussi naïve que fidèle de la vie espagnole, quelque chose comme un hymne à ces eaux pures et glacées que nos voisins dégustent en connaisseurs, et dont l’espoir lointain soutient le voyageur dans ses courses sous un soleil torride, à travers les vastes espaces d’une contrée pierreuse et désolée.

Résumer ainsi, en quelques traits saillans, une impression dans ce qu’elle a de plus vivant, nous intéresser à une scène à côté de laquelle nous serions passés indifférens, et, d’un rien, composer, à force de talent, une œuvre inoubliable, c’est bien là le propre d’un artiste de race. Avec les plus nobles sujets, le brave Pacheco, dans sa vie tout entière n’a pas su atteindre pareille fortune. Du moins, en bon juge qu’il était, ne pouvait-il se méprendre ni sur la valeur de son élève, ni sur les succès qui l’attendaient, et comme il le dit naïvement lui-même : « Après ces cinq années