Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/584

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour lui un hérétique. L’œuvre gravé du grand Allemand lui paraît même d’une orthodoxie absolue. Il l’admire sans réserve, et à raison de son respect pour les choses saintes, il le compare aux plus ascétiques des maîtres espagnols : « Il ne s’est jamais permis de montrer nus les pieds de la sainte Vierge », ajoute-t-il, plein d’admiration ; mais comme, avec le temps, un si louable esprit de réserve est devenu chose bien rare, Pacheco déplore l’amoindrissement graduel, et même la perte irrémédiable du sens religieux en Espagne.

Une réglementation si étroite n’était guère faite, on le conçoit, pour attirer un esprit aussi libre que celui de Velazquez, et tout bon catholique qu’il fût, peut-être ces contraintes si sévères et si multipliées suffisent-elles à expliquer le petit nombre de tableaux religieux qu’il a peints. Pacheco, du reste, à cause de sa situation comme de son caractère, jouissait à Séville d’une grande considération. Sa maison était le rendez-vous des beaux esprits et il avait eu l’idée de rassembler les portraits de ses contemporains les plus distingués pour en faire l’objet d’une publication. Il est vrai qu’au point de vue de la ressemblance de ces portraits, il ne se montrait pas très exigeant, car quelques-uns d’entre eux avaient été faits de souvenir, et d’autres sur de simples descriptions[1].

On comprend qu’à défaut d’enseignemens très efficaces, Velazquez ait du moins trouvé chez Pacheco toutes les facilités d’acquérir, avec une culture intellectuelle assez étendue, la distinction, le tact et le savoir-vivre qu’il conserva toute sa vie. Mais peut-être, au point de vue même de son développement artistique, la direction d’un peintre médiocre tel que Pacheco pouvait-elle lui être plus profitable que celle de Herrera. Dans des conditions analogues, on avait vu, quelque temps auparavant, Rubens délaisser les leçons de Van Noort pour celles d’Otto van Veen, chez lequel il avait passé quatre ans. Ce ne sont pas toujours, en effet, les plus grands artistes qui font les meilleurs maîtres. Ils sont trop personnels pour respecter l’indépendance de leurs élèves et, d’ordinaire, ceux-ci, subjugués par leur ascendant, subissent trop profondément leur influence pour pouvoir jamais la secouer entièrement. Avec la haute idée qu’il avait de son art, Pacheco insistait, sans doute, sur les élémens et il entendait que son élève possédât ce fonds solide d’instruction dont il avait pour lui-même ressenti la privation. Sa méthode, très usitée à ce moment en Espagne, était d’ailleurs excellente. Elle consistait à mettre d’abord ses élèves aux prises avec la nature et à leur faire copier des fruits,

  1. Les frais trop considérables qu’aurait nécessités ce recueil empêchèrent sa publication.