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premier des Eminentissimes cardinaux palatins. Mais à peine le pape n’est-il plus, que le secrétaire d’État n’est plus et que ses attributions passent de droit soit au cardinal camerlingue, soit au secrétaire du Sacré-Collège. Jadis la charge de camerlingue était, même du vivant des papes, la plus considérable de l’Eglise. Le camerlingue était le chef de la Chambre apostolique et le surintendant du Trésor pontifical. « Gérer le patrimoine de l’Église, surveiller tous les actes des magistrats de la ville, pourvoir à la sécurité de l’État, se préoccuper surtout de l’argent qui est le nerf des affaires publiques », telles étaient déjà sous Pie II[1] ses fonctions essentielles. Puis peu à peu, impôts, douanes, agriculture, ponts, chaussées et canaux ; monnaies, commerce, postes, marine ; travaux publics, beaux-arts, enseignement, armée, police, tout devint successivement l’objet de la juridiction du camerlingue.

La création de la secrétairerie d’État marque le commencement de sa décadence. Au temps du pouvoir temporel indiscuté, non entamé, il y avait dans l’Eglise catholique connue deux formes de gouvernement juxtaposées : une monarchie, d’une part ; et, de l’autre, une aristocratie, le clergé, et sa plus haute expression, le Sacré-Collège des cardinaux. La souveraineté totale appartenait au pape, mais, en l’exerçant par délégation, il devait tenir compte de cette dualité. Le secrétaire d’État représentait sa personne, le principe monarchique ; le camerlingue représentait le Sacré Collège, le clergé, le corps de l’Eglise. À mesure que les élémens monarchiques l’emportèrent sur les élémens aristocratiques, l’autorité du secrétaire d’État, représentant personnel du pape, alla se développant, et ses fonctions s’étendirent, au détriment de celles du camerlingue. Lorsque l’Eglise eut perdu ses États, ce fut fini ; l’administration de ce qui restait de biens au Saint-Siège passa elle-même à la secrétairerie et, le pape vivant, il n’y eut plus dans l’Eglise qu’un seul principe, qu’un seul pouvoir, tout personnel, et qu’un seul homme, le cardinal secrétaire d’État, à qui ce pouvoir tout personnel fut délégué, en matière politique. Mais cette autorité se tarit avec la source d’où elle naissait et où elle s’alimentait. Il ne demeure alors que le Sacré-Collège, provisoirement investi de la souveraineté, que les cardinaux « gardant la place du Saint-Siège » ; servantes locum S. Sedis. Alors le camerlingue, représentant non la souveraineté personnelle du pape, mais la souveraineté collective du Sacré-Collège, non la souveraineté prescrite du pape défunt, mais la souveraineté imprescriptible du Saint-Siège, reprend le premier rang. Assisté des trois cardinaux

  1. Æneas Silvius (Piccolomini), 1458-1464.