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lorsque le but aura été atteint, ou que l’occasion sera perdue de l’atteindre. C’est une accusation à laquelle il ne vaut même pas la peine de répondre que de prétendre, — on ne s’en fait pas faute pourtant, — que Léon XIII oublie l’Eglise dans la direction qu’il imprime à l’Église. Oui, trop souvent l’heure présente aura paru lui donner tort ; ceux qui se brisent aux premiers obstacles et se découragent aux premières résistances peuvent, une heure, croire qu’il s’est trompé ; mais c’est une pauvre politique qu’une politique à si brève échéance. La vérité, c’est que jamais pape, jamais secrétaire d’État n’ont plus sûrement gouverné pour l’Église et par des moyens mieux appropriés à la fois aux conditions nouvelles et aux conditions éternelles de l’Eglise. Quand Mgr Mariano Rampolla del Tindaro, alors archevêque d’Héraclée et secrétaire des affaires ecclésiastiques extraordinaires, fut sur le point d’être nommé à l’une des deux nonciatures de Paris ou de Madrid : « Que pensez-vous, demanda-t-il à un prélat français, que doive être un nonce apostolique en France ? — Prêtre ! » répondit le prélat en le regardant. À la secrétairerie d’État, le cardinal Rampolla est resté prêtre, et c’est les yeux levés au ciel qu’il traverse les défilés de la politique. — Aussi bien, allez à la fenêtre ; sous vos regards s’étendent les jardins pleins de roses, les jardins éclatons de lumière, que l’on dirait bornés seulement au loin par la ligne bleue des collines : la seule ombre qui s’y projette est la grande ombre de Saint-Pierre ; vous avez sous les pieds les loges de Raphaël, où habite un peuple divin, saints et saintes et toutes les milices des anges. Ici, les cris s’éteignent et n’arrivent qu’en des bourdonnemens confus ; le faible bruit qui monte de la terre est fait comme d’un son de cloches très pures, et comme d’un chant d’orgues très douces, et comme d’un cliquetis d’encensoirs mollement balancés. Tout est, autour de vous, ou espace ou durée ; et vous sentez que la politique ne saurait être, ici, une misérable politique d’une lieue et d’un jour. Vous sentez que ce secrétaire d’état, qui est si pleinement et si profondément un prêtre, est le ministre que devait avoir ce pape pour essayer de refaire à l’Eglise, dont le royaume n’est plus de ce monde, un empire qui soit de ce monde et de l’autre.

Les pouvoirs du secrétaire d’État cessent avec la vie du pape qui les lui avait conférés, et rien ne montre mieux que c’est une délégation de personne à personne. Tant que le pape est vivant, le secrétaire d’État est comme un second lui-même et non seulement il dirige la diplomatie du Saint-Siège, mais il en administre les biens ; il dresse chaque année le budget des recettes et des dépenses ; il est le préfet des Saints Palais Apostoliques et le