Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été radicalement changées. Mais combien plus ne l’est-elle pas depuis lors ? Il est clair que le cardinal secrétaire d’État n’a jamais pu et peut moins que jamais le prendre sur le même ton que le chancelier de l’empereur allemand ou que les ministres du tsar. Il n’a pas derrière lui des milliers de canons et des millions de baïonnettes ! Mais il se trouve justement que sa faiblesse fait sa force et, si cette formule n’avait une apparence de jeu d’esprit, qu’armé il serait désarmé, et que désarmé, il est armé ou, ce qui revient au même, il désarme ses adversaires.

Quoi qu’il en soit, la tradition de la secrétairerie d’État n’a jamais été de parler trop, de parler sec ni de parler haut. Dans les cimetières de village, on lit sur les tombeaux de prêtres, cette épitaphe : « Ici gît vénérable et discrète personne. » Discrète est l’adjectif qui convient à l’Eglise et l’on ne saurait dire rien de mieux, ni rien de plus, de sa politique que de dire qu’elle est discrète. C’est une politique murmurée, comme elle doit l’être, la chancellerie n’étant qu’à quelques pas du sanctuaire. « Il n’y a pas d’art plus malaisé que l’art de traiter les affaires, avouait le cardinal Consalvi au pape Léon XII. Je ne m’y suis fait qu’après avoir commis des erreurs et des erreurs nombreuses. Mais ces erreurs mêmes instruisent. La plus grande faute est de trop répondre. Par bonheur, j’ai trouvé dans notre secrétairerie d’État l’excellente maxime d’écrire peu et bien, et j’atteste qu’à cette vieille maxime du Saint-Siège j’ai dû le plus grand nombre de mes succès. »

Ecrire peu et bien, telle est, d’après un secrétaire d’État, la « vieille maxime », la tradition de la secrétairerie d’État, depuis 1560, depuis saint Charles Borromée, nommé le premier à ce poste par son oncle Pie IV. L’importance de l’office de secrétaire d’État ressortit tout de suite de ce fait que les papes le confièrent toujours à leur neveu, quand ils en avaient un dans le Sacré-Collège, et que le cardinal secrétaire fut appelé aussi le Cardinal-Maître (Cardinale Padrone)[1]. Le choix du cardinal neveu pour la secrétairerie d’État met en pleine lumière une chose, et c’est l’union intime du Souverain Pontife et de son secrétaire d’État, union qui a toujours été jugée indispensable. Nous venons de dire du cardinal secrétaire qu’il est comme la personne extérieure du Pape ; et de la politique du Saint-Siège qu’elle est, par une tradition inviolée de la secrétairerie d’État, discrète et comme murmurée. Allons plus loin. Le secrétaire d’État est comme la bouche et la chair du Saint-Père, et c’est lui, plus que tous les autres

  1. Il en fut de la sorte jusqu’à la fin du XVIIe siècle, jusqu’à Innocent XII, et c’est là, c’est d’ans cet usage qu’est l’origine du népotisme.