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Comment aurait-elle, dans la force du terme, un gouvernement, si elle n’est pas, dans la force du terme, un État ; si ses sujets sont partout et nulle part ; si elle ne leur commande pas habituellement ; si ses attributions légitimes sont bornées à la sphère des intérêts spirituels ? Et pourtant, comment n’en aurait-elle pas un, si les intérêts spirituels sont nécessairement en contact, en harmonie ou en conflit avec les temporels ; si, à défaut de commandemens habituels, elle donne au moins des directions fréquentes ; si, n’ayant nulle part de sujets, elle a en tous lieux des fidèles, plus soumis au suprême docteur de la foi et de la morale que n’importe quels sujets à n’importe quel prince ?

Comment parler de souveraineté, si l’on ne saurait parler de sujets ; si le pape ne peut contraindre ni par la loi ni par l’impôt ; s’il n’a point de bras pour frapper et si le bras séculier se dérobe à l’office de frapper en son nom ; s’il ne peut recourir à d’autres sanctions que des peines et censures éternelles ? Et pourtant, comment repousser toute pensée de souveraineté ou de souverain pouvoir, de pouvoir qui n’a pas de supérieur humain, si l’on dit, et il n’est personne qui ne le dise, « le Souverain Pontife » ? — De telle sorte qu’en somme et avec toutes les restrictions possibles, il faut reconnaître que l’Eglise catholique, sans être un État, sans avoir ni territoire, ni sujets, ni moyens de contrainte matérielle, est une puissance d’un genre tout particulier, qui a ses lois particulières, sa constitution particulière, ses organes à elle, et, comme l’a écrit Léon XIII, « les ressources qui sont nécessaires à son existence et à son action. »

Catégorie à part dans le droit international, elle n’est pas un État, on le répète, et pourtant elle est une puissance, les gouvernemens entrent et demeurent en relations d’État avec elle. Le pape envoie et reçoit des ambassadeurs, il exerce des arbitrages et signe des concordats qui, s’ils ne sont pas, à la lettre, des traités, s’en rapprochent singulièrement. Pour entretenir ces relations au dehors et pour maintenir au dedans la discipline ; parce qu’aussi l’Eglise a longtemps été un État semblable à tous les États, une puissance semblable à toutes les autres, lorsqu’elle avait Rome, les Marches et les Légations ; parce qu’enfin le pouvoir pontifical est électif et que la mort l’interrompt ou le suspend ; à cause de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui pourrait advenir, il y a vraiment, à côté de la hiérarchie sacerdotale, une organisation gouvernementale, un gouvernement de l’église. Seulement il est plus caché, plus discret ; il disparaît, il s’abrite derrière la personne du pape, car il n’existe qu’en union étroite