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pour en arrêter les suites. Le 24 juin, Mgr Couillé a présenté son clergé à M. Carnot, et prononcé à cette occasion le discours le plus convenable. Le soir de cette fatale journée, il a été appelé auprès du malheureux Président et c’est lui qui l’a assisté dans ses derniers momens. Comment, après cela, maintenir encore la suspension de son traitement, quand même il n’y aurait pas eu d’autres bonnes raisons de la faire cesser ? Mais s’ensuit-il qu’il faille voter une amnistie générale ? — Oui certes ! s’est écrié M. Pelletan : qui donc s’est montré plus criminel que Mgr Couillé ? Si on gracie celui-là, ne faut-il pas amnistier tous les autres ? — Les temps sont changés, et c’est pour le constater que nous mentionnons ces énormes sophismes de M. Pelletan : autrefois ils avaient de l’action sur la Chambre, aujourd’hui ils n’en ont plus aucune. La Chambre éprouve même une certaine impatience nerveuse à être traitée comme une réunion publique de province. Elle exige de ceux qui lui parlent, moins d’esprit peut-être, mais plus de sérieux. La demande d’amnistie a eu le même sort que les autres propositions des radicaux ; elle a échoué piteusement.

Au lieu d’entrer dans la voie des défaillances où on voulait le pousser, le gouvernement a compris qu’il devait rassurer le pays par un redoublement d’énergie, et demander aux Chambres les moyens de rendre cette énergie efficace. L’insuffisance des moyens dont il dispose actuellement s’était manifestée d’une manière, hélas ! trop évidente. Après une pareille leçon, un gouvernement qui n’aurait rien fait aurait accepté d’avance la responsabilité des événemens, quels qu’ils soient, qui peuvent encore se produire. La série des crimes ou des tentatives de crimes qui se déroulent devant nous depuis quelques mois est-elle épuisée par le forfait qui vient d’être accompli, et qu’aucun autre ne saurait dépasser ? Qui le sait ? Qui oserait l’assurer ? Ce qui n’est pas douteux, au contraire, et ce qu’a prouvé déjà l’instruction ouverte contre Gaserio, c’est que, grâce à ses nouveaux procédés d’action, l’anarchisme militant constitue pour la société un danger de plus en plus redoutable. Les bombes ont médiocrement réussi, le poignard paraît être un instrument plus sûr. N’y a-t-il pas dans l’ombre d’autres fanatiques qui préparent d’autres attentats ? Les lois existantes ne les atteignent que dans le cas de complot ou de concert, ou dans celui de manifestations publiques commises par la voie de la parole ou de la presse. L’expérience a montré que les anarchistes agissent encore sous d’autres formes et que leur propagande n’est pas moins à craindre lorsqu’elle exerce sa suggestion criminelle dans des conversations ou des correspondances privées. Le gouvernement a déposé un projet de loi qui vise ces déhts et qui les rend passibles de la juridiction correctionnelle. Les peines sont sévères, peut-être même y a-t-il quelque exagération à accorder aux tribunaux correctionnels le droit d’ordonner la relé-