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chent à prouver l’inutilité de ce « rouage » en le frappant d’avance d’une complète inertie. Il n’y a pas, certes, à s’arrêter à leurs objections ou récriminations, et on verra dans un moment que M. Casimir-Perier n’est rien moins que disposé à laisser péricliter entre ses mains les pouvoirs que la Constitution lui confie ; mais il ne fallait pas non plus donner un air de vraisemblance aux accusations d’adversaires de mauvaise foi. M. Charles Dupuy, depuis qu’il occupe la présidence du Conseil, et il n’y a encore que quelques semaines, n’a jamais été mis en minorité par la Chambre : on doit croire qu’il jouit de sa confiance. M. le président de la République n’aurait pas pu accepter sa démission, et condamner par là son ministère à une fin prématurée, sans donner du corps à toutes les attaques dirigées contre lui-même. Eh quoi ! aurait-on dit, c’est donc M. Casimir-Perier qui renverse maintenant les cabinets ! c’est lui qui les édifie ! Bon gré, mal gré, un ministère présidé par M. Burdeau, ou par tel autre homme politique, aurait eu l’air d’être une émanation du pouvoir personnel de M. Casimir-Perier. Même en admettant que le nouveau cabinet eût été aussi bien composé que possible, il aurait, un jour ou l’autre, fini par tomber. C’est le sort commun : on peut le retarder, mais non pas l’éviter. Ce jour venu, on n’aurait pas manqué de dire que M. le président de la République avait été atteint personnellement dans les choix personnels qu’il avait faits. Le ministère renversé n’aurait pas été un ministère quelconque, mais le sien, celui qui avait ses préférences et qui incarnait sa politique. Contre ce ministère la lutte aurait d’ailleurs été immédiate, et d’autant plus ardente et passionnée qu’en le blessant on aurait voulu blesser autre chose que lui, et, en le renversant, ébranler un pouvoir supérieur au sien. Fallait-il s’exposer à laisser naître entre M. le Président de la République et le pays un malentendu aussi dangereux ? Il a été certainement plus sage de ne pas toucher à la situation ministérielle préexistante. Le rôle du président de la République n’est pas de défaire, mais de faire des cabinets, et ce rôle est parfois assez délicat à remplir pour qu’on ne le complique pas de difficultés nouvelles. M. Dupuy est donc resté à la tête du gouvernement. Quant à M. Burdeau, la Chambre l’a choisi pour son président à la place de M. Casimir-Perier, et le discours par lequel il a remercié ses collègues de cette marque de confiance montre qu’il comprend tous ses devoirs et saura les remplir. Son élection a de plus un sens politique qui se serait dégagé avec moins de netteté si les radicaux n’avaient pas jugé à propos de lui susciter pour concurrent Henri Brisson. Les deux drapeaux, une fois de plus, étaient en présence, et celui de la majorité gouvernementale l’a emporté de haute lutte en un seul tour de scrutin. Ce premier succès a été confirmé par un autre. Il fallait aussi remplacer M. Burdeau à la vice-présidence de la Chambre : le centre a présenté M. Clausel de Coussergues, qui occupe une si grande place au barreau de Paris et qui a su rapidement