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à Tiefurt, aux environs de Weimar, une villa dans le goût antique, et elle y tint des séances où assistaient toutes les jolies femmes et tous les beaux esprits de la ville. Elle y fonda aussi un journal, le Journal de Tiefurt, une petite feuille manuscrite qui devait être rédigée sur le modèle du Journal de Paris. Gœthe, Wieland, Herder, y collaborèrent, et la princesse elle-même y fit paraître la traduction d’un conte italien.

En 1787, Anne-Amélie tomba malade, et ce fut la fin de ces réunions de Tiefurt. L’année suivante, elle partit pour l’Italie, où elle retrouva Gœthe. Et quand elle revint à Weimar, les événemens politiques ne lui permirent plus de se livrer aussi entièrement à son métier de muse. Elle finit même par être forcée, en 1806, de quitter Weimar, chassée par l’approche de « ce puissant démon qui, après avoir opprimé tous les cœurs humains, menaçait de faire sortir de son orbite le globe de la terre. » À son retour, en 1807, elle trouva la ville saccagée ; sa chère villa de Tiefurt, en particulier, était dans un état lamentable. Découragée, attristée encore par la mort d’un frère qu’elle adorait, le célèbre Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick, tué à Auerstaedt, la pauvre Muse mourut, le 10 avril 1807. Gœthe prononça son oraison funèbre, où il la comparait à « ces étoiles qui guident l’humanité sur le chemin du progrès. » Hélas ! l’humanité marche à présent si vite qu’elle n’a plus guère le loisir de consulter les étoiles ! Et ni la Muse de Tiefurt, ni Gœthe lui-même, quoi qu’en pense M. Hermann Grimm, n’auront sans doute beaucoup d’influence sur nos futures destinées !


Après cela, les critiques allemands ont une façon à eux de reconnaître partout les traces de l’influence des grands hommes ! C’est ainsi que M. Nitzsch, dans une autre livraison des Preussische Jahrbücher, attribue au romantisme allemand un rôle considérable dans l’évolution de la théologie protestante. La chose, au premier abord, a de quoi surprendre, car on sait que la haine de l’esprit protestant, le culte du moyen âge, et un ardent mysticisme ont été, en Allemagne, les traits dominans aussi bien des écrivains que des peintres de la période romantique. Mais parmi les écrivains de cette période il y avait un théologien, Schleiermacher, qui a, plus tard, contribué à l’évolution de la théologie allemande. Il n’en a pas fallu davantage à M. Nitzsch pour faire honneur à l’école romantique tout entière de ce progrès de la théologie ; progrès qui consiste, suivant lui, dans une conception plus humaine et aussi plus symbolique de la personne de Jésus.

J’avoue qu’à ces dissertations sur l’influence et le rôle de l’école romantique, je préférerais des études plus directement historiques : et je regrette de n’en point trouver dans les revues allemandes. Je crains que, décidément, les romantiques allemands ne trouvent jamais un historien impartial, ni qui s’efforce de les comprendre au lieu de