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des devoirs envers eux-mêmes. Ils ne peuvent laisser sans emploi les facultés que la nature leur a départies. Il faut qu’ils remplissent toute la mesure de leur génie. Même il faut qu’ils se hâtent. L’un d’eux a trouvé le mot de la situation quand il a dit : « L’heure est passée des temporisations et des indolences, des petites pages en attendant. Nous n’avons plus le temps d’attendre… »

On ne saurait plus justement traduire notre impatience. Voilà des années qu’on nous annonce des renaissances toujours à naître. On s’attaque à tous ceux qui font leur tâche, vaille que vaille, et qui paient de leur personne. On rabaisse des œuvres qui, à défaut d’autres mérites, ont du moins celui d’exister, au nom d’œuvres géniales mais problématiques. C’est toujours l’heure de faire des promesses et jamais celle de les tenir. Cependant quelques-uns parmi les jeunes, à force d’avoir été jeunes, commencent à ne plus l’être ; ils ne se sont pas encore décidés à faire leurs débuts qu’ils sont déjà passés au rang d’ancêtres ; Éliacin grisonne aux tempes. D’autre part les malveillans et les envieux profitent de ces lenteurs et se répandent en insinuations perfides. Ils se plaignent que rien ne soit sorti de ce mouvement ou de ce piétinement sur place. Pour nous, nous n’avons garde de désespérer, mais faudra-t-il espérer toujours ? Non, en vérité, nous ne pouvons plus attendre… C’est pourquoi nous adjurons M. Cousturier et ses amis qu’ils consentent à écrire, et nous supplions M. de la Tailhède de quitter son château de Marmande. Si la Garonne avait voulu elle aurait inondé le monde. Ces messieurs n’ont qu’à vouloir. Pourvu qu’ils veuillent !… Il dépend d’eux de choisir la place qu’ils tiendront dans l’histoire des lettres. Car ils y auront leur place en tout cas, soit pour l’avoir enrichie de leurs œuvres, — soit pour avoir donné un exemple encore inouï, et le plus complet qui se puisse imaginer de la fatuité dans l’impuissance.


RENE DOUMIC.