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qu’une : c’est contre les écrivains qui les ont précédés. Mais faut-il parler de haine quand il s’agit de légitime défense et de la loi elle-même de la concurrence vitale ? Bossuet, dans une page éloquente, nous montre les générations nouvelles poussant du coude celles dont elles vont prendre la place. Les choses n’ont pas changé depuis le temps de l’orateur chrétien. Je n’en veux pour preuve que le jeu auquel se livre chaque semaine M. Bernard Lazare dans le supplément du Figaro. Il publie une série de médaillons destinés à mettre en présence et en opposition Ceux d’aujourd’hui et Ceux de demain. À chacun des écrivains qui sont aujourd’hui en réputation cet homme ingénieux en oppose un autre qui est tout prêt pour le supplanter. On ne saurait, d’une façon plus claire, signifier leur congé à ceux qui sont coupables d’avoir fait leur temps. C’est faire comprendre aux plus récalcitrans qu’on les a assez vus, que l’heure est venue pour eux de disparaître et de désencombrer. Aussi bien ceux qui s’offenseraient d’un tel procédé ne doivent-ils s’en prendre qu’à eux-mêmes. C’est leur faute s’ils ont assez peu le sentiment des convenances pour qu’il faille les rappeler à la discrétion. Tant pis pour ceux qui se cramponnent, — et pour les morts qu’il faut qu’on tue.

Peut-être le moment est-il venu de lier plus intime connaissance avec ceux dont jusqu’ici nous n’avons cité que les noms pareils à des ombres vaines. Ce ne sont pas les renseignemens qui nous manquent. D’abord les littérateurs du prochain siècle ont tenu à nous donner sur leur personne physique les détails les plus circonstanciés et parfois les plus intimes. J’avouerai, s’il le faut, qu’il y a là quelque snobisme, analogue à celui des (célébrités » qui prennent plaisir à contempler leur photographie dans les vitrines, ou des mondaines qui stationnent devant leur portrait dans les expositions. C’est une faiblesse, mais combien excusable chez des jeunes gens ! Car ils sont à l’âge où l’on ne se résigne pas aisément à être tout à fait dépourvu de charmes extérieurs. Il est si naturel d’aimer à plaire ! Au surplus ils savent bien qu’il n’est pas de grande destinée où la femme n’ait sa place et que le génie n’a pas toute sa récompense, s’il n’est couronné par l’amour. Aussi constatons-nous avec plaisir que pour la plupart les avantages du corps leur ont été amplement départis. Hélas ! ce n’est pas du tout indifférent. Que d’hommes éminens, grands esprits et grands cœurs, ont envié le charme conquérant des bellâtres ! Ceux-ci n’auront pas à souffrir de ces fâcheuses disgrâces. À les voir, l’imagination évoque les exemplaires choisis de l’humanité et les plus nobles spécimens de la beauté masculine : seigneurs vénitiens ; tercieros de fer que le grand duc d’Albe menait tambour battant des Alpujarras aux polders de Frise ; barons qui partirent jadis avec le Conquérant et dont les descendans trônent encore sur les sièges armoriés de la Chambre haute ; gentilshommes de la cour des Valois à la barbiche en