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plus qu’il provient de maisons moins bien tenues. Quant au contraire l’eau abonde, que les cabinets sont largement irrigués, l’ammoniaque se trouve diluée dans une telle masse de liquide, que la dépense qu’entraîne la distillation surpasse la valeur du produit obtenu, et comme nombre de villes, Paris notamment, ont fait de grands efforts pour que les eaux arrivent partout en abondance, la fabrication du sulfate d’ammoniaque à l’aide des vidanges deviendra de moins en moins avantageuse et finira par disparaître, quand bien même les fosses seraient maintenues.

Le sulfate d’ammoniaque ne provient pas exclusivement du traitement des liquides excrémentitiels ; on sait que la houille a été formée par la transformation des plantes qui couvraient la surface de la terre à des époques reculées ; or les végétaux de la période houillère renfermaient de l’azote, comme nos végétaux actuels, et quand on distille de la houille pour en extraire le gaz de l’éclairage, on recueille des eaux ammoniacales ; elles sont employées à la fabrication du sulfate d’ammoniaque ; la préparation du gaz consommé à Paris fournit environ, chaque année, 8 000 tonnes de sulfate d’ammoniaque.

Le sel provenant de la distillation de la houille renferme parfois un produit qui agit sur les végétaux à la façon d’un poison violent : le sulfocyanure de potassium ; et les chimistes des stations agronomiques, des syndicats agricoles, s’assurent de son absence dans les lots de sulfate d’ammoniaque dont l’odeur empyreumatique décèle l’origine houillère[1].

Le sulfate d’ammoniaque est d’un emploi récent, concurremment avec le nitrate de soude : il constitue la base de ces engrais azotés, très actifs, qui sont désignés dans le langage courant sous le nom bizarre d’engrais chimiques.

C’est seulement en 1856 que l’efficacité des nitrates comme engrais azoté a été nettement établie par Boussingault et M. Georges Ville ; lentement d’abord, puis rapidement, quelques années plus tard, l’usage de cet engrais s’est répandu, et aujourd’hui l’Europe importe annuellement 500 000 tonnes de nitrate de soude valant de 200 à 300 francs la tonne : la dépense d’acquisition varie donc de 100 à 150 millions.

Le nitrate de soude provient d’un immense gisement situé dans l’Amérique du Sud, sur la côte du Pacifique, dans la province de Tarapaca (Pérou), et dans le désert d’Atacama (Bolivie). Nous savons que les oiseaux pêcheurs, très abondans sur cette côte, ont

  1. Rien n’est plus facile que de constater la présence du sulfocyanure de potassium dans un engrais ; il suffit de dissoudre un peu du produit suspect dans l’eau et d’ajouter du perchlorure de fer qui donne, avec le sulfocyanure, une magnifique coloration rouge.