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cultivateurs les plus habiles du département du Nord ; il nous avait montré une magnifique étable d’engraissement contenant plus de quatre-vingts bêtes ; on le complimentait… « Vous n’avez pas de complimens à faire, nous dit notre hôte… l’étable me coûte beaucoup d’argent. — Alors, vous la laisserez se vider ; quand cet engraissement sera terminé, vous n’achèterez plus d’animaux. — Mais si, mais si ; il faut bien ; mais je perds, vous verrez la comptabilité. » — En effet les livres indiquaient une perte ; elle était fictive ; les alimens fournis en grande partie par une sucrerie appartenant à notre interlocuteur n’étaient pas payés en argent, ils étaient évalués, et l’évaluation était trop forte. La comptabilité établissait une perte sur l’engraissement, d’où un prix du fumier très élevé ; et cependant l’instinct très juste qu’avait notre hôte des opérations agricoles le portait à continuer une spéculation que sa comptabilité lui disait être ruineuse.

Un élevage très bien conduit, vendant des reproducteurs de choix à prix élevés, une vacherie dont le lait est employé à la fabrication de fromages recherchés font par eux-mêmes des bénéfices et dans ces cas exceptionnels, non seulement le fumier ne coûte plus rien, mais il représente un surcroît de profit.

Habituellement, il n’en est pas ainsi, et quand les fourrages consommés et la paille des litières sont évalués au prix du marché, les recettes de la vacherie et de la bergerie ne couvrent pas les dépenses : le fumier qui comble la différence ressort, suivant les exploitations, de 5 à 10 francs la tonne.

Visiblement tous les efforts du cultivateur doivent tendre à diminuer ce prix de revient ; mais alors même qu’il est élevé, il reste inférieur à sa valeur déduite du prix qu’atteignent sur le marché les diverses matières fertilisantes qu’il renferme. Si on renonce à produire du fumier, il faut acquérir des quantités d’azote, d’acide phosphorique et de potasse égales à celles que les fumures habituelles apportent au sol du domaine ; or, sans compter les matières ulmiques, |une tonne de fumier vaut de 12 à 13 francs, par ses 5 kilos d’azote, ses 3 kilos d’acide phosphorique, ses (kilos de potasse ; et si mal conduites que soient les spéculations animales, elles ne font jamais ressortir le fumier à un prix aussi élevé. Aussi, malgré l’extension que prend chaque jour le commerce des engrais, la production du fumier ne cesse-t-elle que dans les exploitations voisines des grandes villes où l’on peut en acheter ; et si les fermiers des environs de Paris trouvent avantageux d’abandonner toutes les spéculations sur les animaux, et de conduire au marché non seulement les grains, mais aussi les pailles et les fourrages, c’est que la ville elle-même leur cède à bas prix le fumier qu’ils ne produisent plus.