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donc pas d’inconvénient à conduire dans un sol compact du fumier frais très chargé de carbonate d’ammoniaque ; la facilité de sa transformation compense la mauvaise aération du sol ; en outre, dans le fumier frais, la paille encore peu altérée conserve sa rigidité ; elle divise le sol, y facilite l’accès de l’air que retarde la plasticité de l’argile.

Dans le fumier frais domine le carbonate d’ammoniaque ; il n’en est plus ainsi dans le fumier fait. Les fermens qui travaillent quatre ou cinq mois dans la masse accumulée sur la plate-forme ou dans les fosses y pullulent ; ils utilisent à la formation de leurs propres tissus le carbonate d’ammoniaque comme le ferait une plante ; ils en font de la matière organique complexe, infiniment plus résistante à l’action des fermens nitriques du sol que le carbonate d’ammoniaque ; en outre, celui qui persiste dans le fumier fermenté y est englobé dans la matière ulmique, dans la vasculose hydratée, avec une telle énergie que des lavages prolongés sont impuissans à l’enlever. Le fumier fait renferme donc la plus grande partie de son azote à l’état insoluble, peu attaquable, de là son application aux terres légères.

De toutes les matières fertilisantes, celles qui contiennent de l’azote sont les plus efficaces, mais aussi les plus coûteuses, et les cultivateurs, qui font de grands sacrifices d’argent pour acquérir du nitrate de soude, du sulfate d’ammoniaque, du guano, etc., ont toujours été très préoccupés des pertes d’azote qu’entraîne la fabrication du fumier.

Elles sont énormes. MM. Muntz et Girard les ont mises en lumière récemment par une méthode facile à comprendre. Ces habiles expérimentateurs maintiennent pendant quelques mois, dans un bâtiment dont le sol est bitumé de façon qu’aucune infiltration de liquides ne puisse s’y produire, un lot d’animaux, démontons par exemple, qu’on pèse au début des expériences. On pèse chaque jour les alimens fournis et on détermine l’azote qui y est contenu ; on recueille soigneusement les litières salies, les liquides émis, et on y dose également l’azote ; enfin, quand l’expérience a duré quelques mois, on pèse les animaux, on constate leur augmentation de poids : il est facile de déduire de cette augmentation la fraction de l’azote des rations qui a été fixé à l’état de viande et de laine ; et comme d’autre part on connaît par les analyses des litières salies, des liquides évacués, l’azote entré dans la constitution du fumier, on obtient, en ajoutant l’azote fixé par les animaux à l’azote du fumier, un nombre qui devrait égaler l’azote des rations et des litières fraîches si rien n’était perdu. Il est bien loin d’en être ainsi : souvent la perte représente la moitié de l’azote initial.