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Un fumier fermenté est celui qui a subi profondément ces métamorphoses : on les hâte en procédant à des arrosages réguliers à l’aide du purin, qui, pénétrant dans la masse, dissout l’acide carbonique, facilite l’accès de l’air, dont l’oxygène active les combustions et ranime les bactéries ; peu à peu, la paille se réduit, se désagrège, forme une masse molle, facile à couper à la bêche, et prend finalement l’aspect de l’humus.

Les cultivateurs des terres légères trouvent grand avantage à pousser très loin la fermentation du fumier ; ceux qui tiennent au contraire des terres fortes, argileuses, attachent moins d’importance à cette fermentation et conduisent le fumier dans leurs champs toutes les fois qu’ils sont abordables : pour bien comprendre quelles raisons dictent leur conduite, il faut suivre les transformations que subissent dans le fumier les matières organiques azotées.

Les animaux reçoivent dans leur ration des matières azotées : le foin renferme de l’albumine semblable à celle de l’œuf ; les grains contiennent de la caséine, analogue à celle du fait, du gluten, de même composition que la fibrine des muscles, et on conçoit qu’une partie de ces matières ingérées soit fixée dans l’organisme : une autre est brûlée, amenée à l’état d’urée et rejetée par les urines ; une plus faible fraction des matières azotées de la ration passe dans les déjections solides.

Maintenue dans l’air pur à l’abri des germes, l’urée reste inaltérée, mais un ferment, partout répandu, la transforme rapidement en carbonate d’ammoniaque. Cette métamorphose se produit déjà dans les bergeries et, quand elles sont mal ventilées, l’odeur y est insupportable. Au moment où elles arrivent à la plate-forme, les matières sont donc imprégnées de carbonate d’ammoniaque. Si elles n’y font qu’un court séjour et que rapidement elles soient conduites aux champs, elles en renferment encore, et si elles sont incorporées à un sol léger, perméable à l’air, très vite ce carbonate d’ammoniaque devient la proie des fermens nitriques ; l’azote qu’il renferme, métamorphosé en acide azotique, s’unit aux bases du sol, chaux et potasse, et le voilà absolument mobile, prêt à être assimilé par les plantes si le sol est emblavé, à être entraîné par les eaux si la terre est découverte. Conduire du fumier frais très chargé de carbonate d’ammoniaque dans une terre légère, c’est donc s’exposer à de grandes pertes ; les cultivateurs disent que ces terres dévorent le fumier : après une année, il a disparu.

Dans une terre forte, argileuse, peu perméable à l’air, il persiste plus longtemps. Ce que l’on craint dans une terre semblable c’est que, par suite du manque d’air, la nitrification qui amène l’azote à l’état essentiellement assimilable soit trop lente : il n’y a