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La garnison turque de Jérusalem s’avance en rangs serrés, d’un pas cadencé, pour se rendre chez le gouverneur, au son d’une singulière musique, mystérieuse, indistincte, discordante. Pas une âme dans la rue ; seul, un chien des rues jaune regarde ce défilé.

6 heures. — Les cloches sonnent : ré, fa, ré, fa, ré, fa, avec le bourdon faisant le do.

7 heures. — Le canon tonne de nouveau ; on entend le clairon.

8 heures. — Nous montons sur la terrasse de l’hôtel pour jouir du panorama. Jérusalem se découvre à nous tout entière, dans un rayon de soleil, « comme une ville dont les maisons sont bien liées », au milieu de la ceinture de murailles qui l’enserre. Du point culminant de la ville où nous nous trouvons, l’œil peut suivre la ligne des remparts jusqu’au Haram es-Shérif, dont le mur tombe à pic dans la vallée du Cédron et forme l’angle sud-est de la ville sainte. Le Haram, à l’extrémité de cet entassement de maisons et de coupoles, forme une vaste esplanade entourée de verdure, sur laquelle l’œil se repose ; c’est une succession de terrasses et de portiques convergeant vers la mosquée d’Omar, qui en occupe le centre. De cette pointe extrême, toute la ville semble remonter par degrés jusqu’à nous ; on dirait un vaste promontoire, qui ne tiendrait que d’un côté à la terre. Au nord, la vallée s’aplanit, et Jérusalem nous apparaît, prolongée par les toits rouges des nouveaux quartiers, qui font comme une seconde ville en dehors des murailles.

Au loin, le regard se promène sur l’amphithéâtre de collines qui s’étend des montagnes de Juda jusqu’au mont des Oliviers, dont la pente douce, surmontée de la tour des Russes, se dresse, en face de nous, de l’autre côté du torrent du Cédron. Plus loin encore, à l’horizon, on entrevoit la ligne bleue des montagnes de Moab.

À nos pieds, la place est pleine de monde. On entend la musique qui se rapproche ; c’est le gouverneur qui va rendre visite au commandant militaire de Jérusalem ; nous descendons, et nous allons prendre place sur le perron de la Régie des tabacs, qui fait face à la citadelle, pour attendre la sortie du cortège. Au fond de la place, à notre gauche, s’ouvre la porte du palais du commandant. Devant nous, des factionnaires, debout sur leurs escabeaux, sont postés des deux côtés du gros donjon qui commande l’entrée de la citadelle. Contre le parapet qui longe le fossé, se sont formés des groupes de gens de la campagne, venus pour la fête à Jérusalem, de ces bédouins du pays de Moab, qui obéissent aux ordres d’Abou-Diab, le grand chef des tribus indépendantes de l’autre côté du Jourdain. Ce sont bien là de vrais bédouins, qui ont gardé toute la sauvagerie de leurs ancêtres, de grands homme