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haies de cactus longent une large route mal entretenue. La plaine de Saaron, qui fuit derrière nous, est bordée de montagnes bleuâtres. À leur pied, je crois voir un lac, qui se transforme bientôt en un vrai bras de mer, où les ombres de la montagne se reflètent. En avançant, le mirage se dissipe ; il n’y a rien devant nous que la vallée qui descend des montagnes de Juda. C’est la première hallucination de la Palestine.

Lydda. — Un joli groupe de femmes se tient sur la route qui longe le chemin de fer ; elles ont un œil découvert, et cela suffit à rompre la monotonie de leur costume. En général, celles que l’on rencontre sont lourdes et disgracieuses ; elles ont le visage entièrement caché par un voile bariolé qui les défigure, et leur taille disparaît sous le long manteau de mousseline blanche dont elles s’enveloppent. Qu’elles sont différentes des Egyptiennes, sveltes dans leur robe d’un bleu foncé, avec deux beaux yeux brillant au-dessus du voile noir qui en fait ressortir l’éclat.

Ramleh. — La ville est assez loin de la gare. Nous l’apercevons en arrière de nous sur une hauteur : des dômes blancs au milieu des palmiers ; devant, un campement très pittoresque ; au fond, la montagne. Pour la première fois, nous regrettons la route, qu’on voit gravir la colline en s’éloignant de nous. Le paysage est triste. L’herbe, la végétation, les fleurs ressemblent assez aux nôtres, mais la campagne est pauvre et mal cultivée ; partout des champs pierreux et des collines rocailleuses, mais dont les lignes sont très douces et très harmonieuses. Dans les prés, une gardienne de troupeaux, une belle fille, assise à côté de deux petits moricauds, nous sourit et nous envoie des bonjours de la main.


Je suis noire, mais belle, filles de Jérusalem !
Ne me dédaignez pas parce que je suis noire,
C’est le soleil qui m’a brûlée.


Tous ces coteaux, par où la montagne de Juda s’incline vers la plaine, sont peuplés de souvenirs bibliques, qui se pressent les uns les autres : Guézer, Ataroth, Ajalon. On nous montre la vallée où Josué arrêta le soleil. À côté de nous, un petit torrent coule sur un lit de cailloux blancs ; au-dessus, au sommet d’une crête gracieuse de collines, le tombeau de Samson, une qoubbah blanche, avec un palmier derrière un mur, frappe l’œil et forme un tableau plein de poésie dans sa simplicité. Ce petit monument solitaire parle plus à l’esprit que des ruines soi-disant historiques ; il fait revivre les exploits du héros légendaire qui descendait de ces hauteurs pour frapper de grands coups contre les Philistins. Il est bien l’image de ce pays où la légende porte en elle sa vérité.