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RAMADAN ET BAÏRAM
SOUVENIRS D’UN VOYAGE EN EGYPTE ET EN SYRIE

La première préoccupation des voyageurs qui se rendent en Palestine est d’y arriver pour les fêtes de Pâques. La Pâque catholique n’attire que peu de monde à Jérusalem ; elle n’est pas entourée d’une grande pompe, et n’a d’intérêt véritable que pour ceux qui viennent y chercher l’accomplissement d’un devoir religieux. La Pâque grecque a un autre éclat. Pendant quinze jours, Jérusalem ne s’appartient plus. Une nuée de pèlerins, venus de Syrie, d’Arménie, et jusque du fond de la Russie, envahit la Palestine et apporte aux lieux saints toute l’exaltation d’âmes ardentes, surexcitées par les privations et les souffrances du voyage et par un jeûne rigoureux de quarante jours. L’an dernier, soixante d’entre eux ont péri de misère et de froid, dans une rafale de pluie, à dix lieues du but. Ils couvrent les routes qui mènent à Jérusalem, remplissent les khans, et, lorsqu’ils n’y trouvent plus de place, se couchent exténués au bord de la route. Nous les avons vus, courbés par la longueur de la route, les pieds meurtris, la tête nue sous un soleil brûlant et, malgré tout cela, l’air résolu et presque gai, remonter en longues files des bords du Jourdain, portant à la main des cruches pleines de l’eau du fleuve, le dos chargé de longs roseaux qui venaient ajouter au poids de leur misérable bagage. Toute cette foule vit dans l’attente anxieuse du miracle du feu Saint-Jean, qui circule de main en main, se promène sur tous ces corps impatiens d’être purifiés, et se transmet ainsi sans s’éteindre, de proche en proche, jusqu’aux extrémités du monde slave.

Les disputes et les compétitions dont le Saint-Sépulcre est presque journellement le théâtre, sous les yeux des soldats turcs chargés de mettre la paix entre les fidèles, donnent un avant-goût