Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moderne que celle de l’agglomération, en un même local, d’articles de diverses natures. Tout magasin qui grandit déborde aussitôt sa spécialité, aussi bien dans l’alimentation que dans le vêtement. Il semble que la vente engendre la vente et que les objets les plus dissemblables, juxtaposés, se prêtent un mutuel appui. Le marchand qui tient un client dans sa boutique s’applique, pour l’y retenir, à lui vendre de tout. Il l’habille aujourd’hui et le meuble ; demain peut-être il le nourrira. De même le client a plus de chances d’entrer dans la boutique s’il y est convié par plus de motifs, s’il y peut satisfaire plus de besoins. Ainsi l’affluence des cliens fait créer les comptoirs et la création des comptoirs fait à son tour affluer les cliens. Les fondateurs mêmes de ces grandes machines à vendre tout à tous ont autant suivi que créé le nouveau courant.

Boucicaut, en particulier, n’était pas partisan de sortir de ce qu’on appelait, il y a quarante ans, la « nouveauté » : tissus, bonneterie, lingerie, joints à cette catégorie d’objets connus, dans l’ancien temps, sous le nom de « nippes du palais de Paris », et que le langage moderne a baptisés « articles de Paris ». Ceux-là avaient été tout d’abord recueillis, par les marchands du XIXe siècle, dans l’héritage de leurs ancêtres les merciers du Palais de justice. Nos ambassadeurs, avant de partir pour leur poste, ne manquaient jamais de s’approvisionner de « ces gentillesses qui se trouvent à Paris pour donner ». Ces mille riens étaient un fructueux monopole de notre industrie : « ils sont sur le lieu un peu chers, dit un écrivain de 1625, mais augmentent d’autant plus de valeur qu’ils sont éloignés de l’endroit où ils sont faits ». Dans leur développement moderne les « articles de Paris » ont engendré beaucoup d’autres rayons, d’abord confondus avec eux : horlogerie et argenterie, articles de voyage, papeterie, livres et jouets. À cette dernière création M. Boucicaut fut longtemps opposé, de même qu’à celle de la parfumerie, sortie comme les gants, comme les parapluies, comme la chemiserie, de l’ancien comptoir de bonneterie, déjà divisé lui-même en trois services, suivant l’âge et le sexe des acheteurs. La parfumerie fait 3 millions de francs ; la chemiserie pour hommes 4 millions ; elle débite annuellement 650 000 chemises, dont 5 ou 6 douzaines sont coupées à la fois par une scie à ruban, mue par l’électricité. Le rayon des robes, détaché un jour de celui des confections, qui continue à faire 4 millions et demi, atteint pour son compte le chiffre de 4 millions et emploie 70 vendeuses ou essayeuses. Des objets qui fournissaient modestement de quoi vivre à quelques commerçans, ont pu, par cette démocratisation du luxe qui est le propre du