des magasins rivaux. Le Louvre offre-t-il pour 1 fr. 50, à la quatrième page des journaux, le mètre de tel tissu de coton, le Bon Marché, qui fait sa publicité le lendemain, portera le même madapolam à 1 fr. 40 et le Louvre ripostera parfois le surlendemain en le cotant 1 fr. 35. Il n’est pas rare de voir certains prix corrigés ainsi, alternativement, à quelques jours d’intervalle. Pour se rendre compte de la marchandise à laquelle correspondent ces prix, les chefs de comptoir du Bon Marché font régulièrement acheter au Louvre, ainsi que ceux du Louvre au Bon Marché, quelques, décimètres des étoffes sur lesquelles porte la bataille, afin de pouvoir répondre à la cliente qui objecte une différence de 5 ou 10 centimes avec les prix d’une autre maison : « Madame, ce n’est pas le même article. »
Le plus curieux est que souvent c’est la vérité. L’on se serre de si près entre marchands d’une part, entre fabricant et marchand de l’autre, que, pour ne pas arriver à vendre au même prix, il faut effectivement qu’il y ait quelque légère différence dans la qualité. Il a été objecté que, grâce à la « compensation des bénéfices », le magasin qui vend un grand nombre d’articles et comprend un grand nombre de rayons peut en sacrifier quelques-uns pour anéantir la concurrence des petits commerçans. Mais, s’il est toujours facile de vendre à perte, il l’est beaucoup moins de surfaire impunément. Pour que la compensation s’établît entre l’article majoré et l’article sacrifié, il faudrait que le premier se vendît autant que le second. Or il ne se vendrait pas, parce qu’il s’établirait des spécialistes qui, n’ayant rien à compenser, le livreraient, eux, à plus bas prix.
Chaque rayon a, comme les plus petites boutiques, ses objets de réclame et ses objets de gain ; la compensation s’établit, non pas d’un rayon à l’autre, mais dans l’intérieur de chaque rayon, de sorte que le « ressort », la différence de l’achat à la vente, apparaisse en fin d’année à un chiffre suffisant. Cette solidarité des grands magasins, qui empêche chacun de hausser seul aucun prix, les oblige tous à baisser une catégorie d’objets lorsqu’un d’entre eux s’est décidé à le faire. Un frein naturel, le souci de ne pas travailler « pour l’amour de Dieu », s’oppose à la multiplication de ces pertes volontaires. Le seul comptoir à peu près sans « ressort » est celui de la ganterie, dont la mission exclusive est partout d’attirer du monde. Le magasin de nouveautés vend les gants en moyenne 4 pour 100 net de plus qu’il ne les paye ; les frais généraux étant de 16 à 17 pour 100 du chiffre d’affaires, le rayon de ganterie se trouve en perte de 12 à 13 pour 100. Le bas prix a dû stimuler la vente, car le gant, comparativement à sa modeste part dans la toilette, atteint dans les grandes maisons un