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confiance à leurs fournisseurs. On leur offrit des avances ; ils les refusèrent afin de ne pas compromettre l’indépendance de leurs achats. Ils ne demandèrent le succès qu’au seul labeur, à « l’huile de bras », dit Mme Cognacq. Le magasin occupait une douzaine d’employés. Patron et patronne couraient le matin les dépôts de fabriques, rentraient en hâte pour présider à la vente durant l’après-midi ; le soir venu, ils faisaient leurs comptes et marquaient leurs marchandises jusqu’à minuit ; ce qui ne les empêchait pas d’être le lendemain levés à l’aube, pour surveiller le nettoyage, un plumeau à la main, tout en ramassant les bouts de ficelles et les papiers blancs qui pouvaient servir à empaqueter. On comprendra l’importance de ces petits détails, quand on saura que la ficelle, à elle seule, coûte annuellement 40 000 francs au magasin du Louvre. La vogue du comptoir des confections, où Mme Cognacq avait fait preuve de qualités supérieures, entraîna très vite le succès de la maison. Elle grandit avec une rapidité surprenante. Le chiffre espéré de 300 000 francs avait été tout de suite dépassé ; en 1874 le nombre des employés était de 40 et les affaires atteignaient 840 000 francs. Elles s’élevaient à 1 900 000 fr. en 1877, à 6 millions en 1882, à 17 millions en 1888, à 25 millions en 1890, et à 35 millions en 1893. Aujourd’hui M. Cognacq est un puissant millionnaire ; — et peut-être s’est-il relâché un peu de sa surveillance primitive, puisqu’en 1889 son caissier central, qui jouait aux courses, a pu lui dérober 2 500 000 francs sans qu’il s’en aperçût.


V.

Étudions maintenant le fonctionnement de ces énormes usines commerciales. Chaque « rayon » forme une petite maison dans la grande. Le directeur, ou le conseil, fixe, le premier du mois, le crédit dont chaque rayon pourra disposer jusqu’au mois suivant, selon son importance et selon la saison. On se guide, pour en déterminer le chiffre, sur la vente du mois correspondant de l’année précédente, et aussi sur les résultats obtenus durant les trente derniers jours, résultats que présente un tableau d’ensemble, où les totaux de la vente annuelle des rayons figurent à côté des achats qu’ils ont effectués. On peut ainsi restreindre la part des rayons qui n’ont pas rempli les prévisions, et augmenter la part de ceux qui les ont dépassées. Il importe en effet de proportionner aussi exactement que possible les entrées de marchandises aux sorties pour éviter les stocks d’où proviennent les pertes d’intérêt et les articles défraîchis ou démodés.

Ces bases établies, le chef de rayon se meut à peu près librement