représenté par le fonds de commerce, le matériel et les marchandises, valait le triple de ce qu’elle l’estimait ; quant à l’argent que ses « associés » étaient censés lui apporter, c’est elle en grande partie qui le leur avança. Enveloppant sa générosité de papier timbré, cette femme admirable s’arrangeait pour donner ingénieusement ce qu’elle paraissait vendre, puisque beaucoup de parts ne furent payées par leurs titulaires que sur les bénéfices qui leur étaient attribués. Seulement Mme Boucicaut exigea que le personnel demeurât unique propriétaire de ces parts. Soucieuse de concentrer les profits entre les mains des travailleurs qui les créaient, elle fit interdire par les statuts de vendre les actions à d’autres qu’aux employés de l’établissement. Et, pour que le plus grand nombre possible de ces employés (fût admis au partage, d’un côté on limita le nombre d’actions que chacun pourrait acquérir, de l’autre on divisa ces actions en huitièmes.
La mesure était d’autant plus opportune qu’émises en 1880 au au prix de 50 000 francs, ces actions rapportent aujourd’hui 18 000 francs et sont cotées au cours de 320 000 francs, à la bourse intérieure du Bon Marché, Les huitièmes de part, dont le dividende est par conséquent de 2 250 francs, trouvent aisément preneur à 40 000 francs et davantage : capitalisation élevée pour une affaire commerciale, et qui prouve la confiance du personnel dans l’entreprise à laquelle il est attaché. Le nombre des participans augmente sans cesse ; de simples garçons de magasin, aussi bien que des chefs de comptoirs, possèdent leur huitième d’action, si bien que ces 400 parts ou 3 200 coupures sont aujourd’hui entre les mains de cinq cents employés, — ou anciens employés.
Nous parlons d’anciens employés ; c’est là l’écueil de cette institution, comme de toutes les coopératives de production du passé et de l’avenir. Comment obliger en effet l’employé qui prend sa retraite à se défaire d’une propriété qui représente souvent l’effort d’une vie entière ? Serait-il équitable de contraindre ses héritiers à céder leurs actions ? Or, quoique la société du Bon Marché soit d’origine bien récente, un certain nombre des 500 participans se reposent déjà dans la vie bourgeoise de trente ans d’une fiévreuse activité ; chaque année en voit disparaître de nouveaux ; et dans un demi-siècle, si la maison existe encore, la plus grosse part du capital appartiendra forcément à des étrangers. Que vaudrait cependant une forme de coopération qui enrichirait les travailleurs pauvres, et les dépouillerait de la fortune une fois qu’ils l’auraient acquise ?