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ton domaine. » Ces expressions ont frappé les historiens et les jurisconsultes ; ils se sont demandé si ces gens qui s’ appellent eux-mêmes vernulæ, alumni saltuum imperatoris, ne sont pas déjà des colons attachés à la glèbe, comme on en trouve au commencement du bas-empire, et si l’institution du colonat, qu’on fait dater ordinairement de Constantin, n’est pas beaucoup plus ancienne. Ce qui est sûr dans tous les cas, c’est que, si elle n’existait pas encore du temps de Commode, sous sa forme légale et définitive, elle se préparait à naître. Sans doute aucun texte ne nous dit que ces paysans qui sont nés sur les terres de l’empereur n’ont pas le droit de les quitter : la loi qui doit les y attacher pour toujours n’est pas encore promulguée ; et pourtant ils y demeurent, ils y sont depuis plusieurs générations, ils y seront vraisemblablement toujours, non par contrainte, mais parce qu’ils ont pris l’habitude d’y demeurer, et qu’ils n’ont guère le moyen de vivre ailleurs. Ils sont donc, en réalité, forcés d’y rester, quoiqu’il ne leur soit pas défendu d’en sortir, et la loi qui, un siècle plus tard, les attachera définitivement au sol ne changera rien à leur situation réelle. Ainsi le colonat n’a pas été créé de toute pièce par le législateur du bas-empire ; il est en germe dans le statut d’Hadrien, qui n’est probablement lui-même qu’une application d’une coutume remontant aux origines de Rome[1]. Dans ce monde romain, qui est le triomphe de la logique et de l’esprit de suite, rien ne se fait d’un seul coup, rien ne naît au hasard, et c’est un grand plaisir pour l’historien, qui l’étudie, de voir les institutions se préparer lentement et sortir les unes des autres par une sorte de génération naturelle.

Le domaine impérial ne se composait pas seulement de ces immenses saltus qui ressemblaient à des provinces : les mines aussi, ou plutôt ce qu’on appelait d’un nom général metalla, en faisaient partie ; on entendait par là non seulement les mines d’or, d’argent, de cuivre, de plomb, mais les carrières de marbre et de pierre et même les salines. Presque tous les metalla, dans le monde entier, furent acquis ou confisqués par l’empereur et administrés par ses intendans. Quoiqu’on parle peu de ceux d’Afrique, il y en avait pourtant, et qui ne manquaient pas d’importance. Ce fut un des plus grands supplices infligés aux chrétiens pendant les persécutions d’être contraints d’y travailler. Nous avons les lettres courageuses que les malheureux écrivaient à leur évêque Cyprien pour lui demander ses prières et la belle réponse de l’évêque. On y voit quelle triste vie menaient les ouvriers des mines : on y était peu vêtu, mal nourri ; on couchait sur la terre,

  1. J’emprunte ici les conclusions de M. Mispoulet à propos d’une inscription nouvelle qui concerne les saltus impériaux, et qu’il a étudiée dans les Collections du musée Alaoui, que publie M. de la Blanchère.