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leur froideur insignifiante, ils rayonnent et la beauté de la jeune fille en est doublée. Je la vois impatiente, l’héroïque amoureuse, d’aller porter son pardon au profanateur qui a levé sur elle une main sacrilège, qu’elle aime alors qu’elle devrait le haïr. C’est que, primitive par sa vie isolée, par sa rude éducation, elle obéit à un sentiment tout primitif en voyant un maître dans l’homme qui l’a châtiée pour une simple indication de préférence ; et, qui sait ? son cœur, encore indécis, eût peut-être penché vers Lorenzo si le jeune homme, laissé libre d’agir, avait pu frapper son frère, se montrer plus hardi ou plus fort que lui.

Tout en dégustant un bol de café qu’elle m’a offert, je propose à ma jeune hôtesse de remettre notre excursion au lendemain, alors que l’ouragan sera calmé. En guise de réponse elle assujettit son chapeau, se met en selle. Son père survient, plaide à son tour pour que la promenade soit ajournée. Les sourcils d’Amada se froncent, elle part en faisant caracoler son cheval, et, cédant à un mouvement d’amour-propre, je salue mon hôte et la rejoins.

Nous voilà côtoyant le lac ; bientôt une rafale nous enveloppe. Nous devons nous courber sur le cou de nos montures qui, les oreilles couchées, s’arrêtent, affermissent leur équilibre en écartant leurs jambes ; leurs longues crinières, leurs longues queues flottent, reviennent sur elles-mêmes, les fouettent et nous fouettent. Amada, impatiente, pousse son cheval qui résiste, qu’elle oblige à obéir. Bientôt, se rendant à mes avis, elle consent à marcher avec prudence, au pas.

Les eaux du lac sont remuées, soulevées, et le vent, de temps à autre, nous inonde de l’écume qu’il arrache à la pointe des vagues, nous en cingle le visage. Nous avançons sans pouvoir échanger un mot, et je m’en désole.

En somme c’est le pardon, le repos, la joie qu’Amada porte à Maximo dont je lui ai peint la douleur, l’accablement, les regrets, et qu’elle a hâte de rassurer. Elle songe en ce moment au désespoir du malheureux, et nullement à celui qu’elle va faire naître dans l’âme de Lorenzo, qui ne soupçonne même pas la déception qui l’attend. En dépit du serment qu’ont prêté les deux frères de ne pas attenter à la vie l’un de l’autre, il me semble impossible que le dénouement de leur rivalité ne soit pas une lutte sanglante, mortelle. Je voudrais arrêter ma compagne, lui exposer mes craintes, lui faire comprendre les dangers de sa démarche, la supplier de l’ajourner. J’essaie de le faire ; mais le vent emporte mes paroles, mes conseils, ne laisse arriver aux oreilles d’Amada que des monosyllabes. Je songe à tourner bride, je m’arrête ; elle continue sa route ; je regrette alors de n’avoir pas