— Partons, m’a-t-elle dit.
Je la précède, elle marche alerte, c’est à peine si elle accepte mon aide pour descendre dans la pirogue. Elle va droit à l’avant de l’embarcation, s’y installe, saisit les rames. La lune se montre, éclaire en plein le visage de ma compagne qui, je le remarque, ne perd pas de vue le foyer de Maximo. Je pense de nouveau aux paroles de Mateo et je commence à soupçonner pourquoi, secouant sa torpeur, Amada s’est emparée de mon poste et s’est faite mon pilote.
Nous avançons avec une lenteur voulue, calculée par la batelière, qui ne fait qu’effleurer l’eau de ses rames. C’est presque sans bruit que notre esquif glisse sur la surface lisse du joli lac, qu’il ride à peine. Des poissons nous suivent ou nous devancent, et, profitant de l’heure, n’ayant plus à redouter le bec ou les serres d’aucun oiseau pêcheur, ils sautent à chaque instant hors de l’eau. Des chauves-souris voltigent autour de nos têtes, m’importunent. Par bonheur ma compagne, qui ne nourrit aucune idée superstitieuse sur les mystérieux mammifères, ne voit pas un sinistre présage dans leur familiarité, ne s’inquiète pas d’eux.
Nous avons abordé. Lorenzo qui nous guettait, qui nous voyait venir, aide Amada à débarquer. Il la conduit vers le hamac, s’établit un instant près d’elle, puis remonte à cheval pour aller souper avec son père, qui est seul. Je m’attable entre don Onésimo et sa femme qui, vu l’état du ciel que colore une faible lueur rose, m’annoncent que le vent du sud soufflera avant peu. Tandis que j’interroge, Amada se retire.
Le repas terminé, je la retrouve non sur le hamac, ainsi que je m’y attendais, mais assise sur le bord du lac, tournée vers le point habité par les mystérieux caïmans. Elle se lève, prend congé de son père et de sa mère, et, gardant la main que je lui ai tendue, elle m’entraîne doucement.
— N’allez-vous pas en expédition demain ? me demande-t-elle.
— Si, et je vais en prévenir Mateo.
— Il dort, señor, car il doit à l’aube aider Lorenzo, qui maintenant est seul, à marquer des taureaux. Voulez-vous le laisser à ce travail et m’accepter une fois de plus pour guide ?
— Certes. Toutefois, vous êtes si dolente, que nous ferons bien, je crois, d’aller à cheval.
— Comme il vous plaira. Est-ce, ajoute la jeune fille qui me regarde bravement en face, vers l’extrémité du lac que vous comptez vous diriger ?
— J’irai où vous me conduirez.
Je presse la petite main, qui me rend ma pression, et je vais m’établir sur le hamac que je mets en branle, pour trouver