et de riz qui s’achemineront sur les derrières de l’armée. Afin d’atteindre le chiffre réglementaire, les chefs de corps sont invités à saisir dans le pays occupé tous les blés qu’il contient, à les convertir aussitôt en farines. Avec une activité méthodique, l’empereur surveille lui-même et hâte ce travail. Sur vingt points différens, à Plock, à Modlin, à Varsovie, sur toute la ligne de la Vistule, il fait moudre, « moudre à force, » et répartit entre les corps les amas de farine ainsi obtenus. Pour assurer leur transport, il recourt à tous les moyens connus, il en invente de nouveaux ; il lève par milliers les chevaux, forme « des bataillons de bœufs », réunit des véhicules de toute dimension et de toute espèce, organise un immense matériel roulant, destiné à suivre nos colonnes, à les alimenter au fur et à mesure de leurs besoins, à pénétrer avec elles dans les profondeurs de l’Est.
Quand commence la première semaine de juin, ces suprêmes préparatifs s’achèvent ou paraissent s’achever. D’autre part, dans les pays que nos troupes aperçoivent devant elles et qu’elles auront à parcourir avant d’atteindre le Niémen, le printemps a fait son œuvre ; la végétation retardataire s’est brusquement épanouie, et l’herbe déjà haute, épaisse et drue, nous promet un abondant approvisionnement de fourrages. Ainsi s’annonce la saison favorable aux hostilités ; voici l’heure propice pour agir, cette heure que Napoléon s’est fixée depuis dix mois et qu’il s’est ménagée par un long effort de patience, de ruse et d’activité discrète. Il a enfin atteint le but si opiniâtrement poursuivi : il est parvenu, sans que les Russes aient interrompu et dérangé son travail par une attaque intempestive, à dresser contre eux, à porter sur place, à monter de toutes pièces, à pousser jusqu’au dernier degré de perfection un appareil guerrier qu’il juge suffisant à briser tous les obstacles. Au point où il en est, il a barres sur l’ennemi ; il le domine partout de ses forces avantageusement postées, successivement accrues ; il peut fondre sur lui avec tous ses moyens. Que les destins s’accomplissent donc ! que la Grande Armée s’ébranle et prenne l’offensive ! Après avoir longtemps contenu et bridé l’élan de ses troupes, l’empereur leur rend la main ; il a tout ralenti jusqu’à présent : il précipite tout désormais.
Il arrête les dispositions suivantes : les corps de gauche, celui De Davout en tête, vont se porter rapidement et se concentrer sur l’espace compris entre le delta de la Vistule et le pays de Kœnigsberg, marcher ensuite au Niémen et le passer. Le centre, c’est-à-dire l’armée d’Eugène, se joindra au mouvement de ces corps, suivra la même direction et fera masse avec eux. Projetant ainsi en avant sa gauche et son centre, l’empereur « refusera » sa