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II

De Dresde, Napoléon courut d’un trait à Posen. Dès qu’il eut apparu sur le sol varsovien, l’enthousiasme naquit à sa vue parmi les habitans polonais et se propagea, comme si l’image de la patrie ressuscitée eût marché à ses côtés. À Posen, ce fut un délire, une tempête de cris et de hurrahs, une population entière acclamant son entrée et célébrant par anticipation ses triomphes. Le soir, une immense couronne de lauriers, tout en feu, s’alluma sur la flèche de la principale église et apparut comme un phare rayonnant, qui portait au loin l’espérance et la lumière. Les soldats, les bourgeois, les autorités, la noblesse, les femmes, vinrent tour à tour complimenter le libérateur. Il accueillit ces hommages avec plus ou moins d’affabilité, doux aux humbles, sévère aux grands, qu’il menait d’une main rude : « Il n’a pas fait de progrès depuis 1806, « dit une femme du monde. Un peu plus loin, il reçut les dernières propositions de Bernadotte. Quoique déjà lié par traité avec nos ennemis, le prince royal de Suède s’essayait encore, par peur, à renouer les pourparlers, et négociait des deux côtés : il s’offrait à nous seconder et à rentrer dans le rang, pourvu que ce concours lui fût payé par l’abandon de la Norvège, appartenant à nos alliés danois. Mais Napoléon, qui observait depuis un an les évolutions de Bernadotte et le vagabondage de sa politique, avait compris que cet ambitieux voulait moins se livrer que se réserver : « Qu’il marche, dit-il, lorsque ses deux patries le lui ordonnent ; sinon, qu’on ne me parle plus de cet homme ! » Rencontrant une dernière fois sur son chemin l’ex-maréchal d’Empire, qui le sollicitait sans bonne foi et lui offrait un marché équivoque, il laissa tomber cette réponse et passa.

Il s’était fait annoncer à Varsovie, sans avoir réellement l’intention de visiter cette capitale. En y répandant le bruit de sa venue, en l’accréditant dans tout le Nord, il comptait électriser de plus en plus les Polonais, tenir en haleine et sur le qui-vive les corps français et alliés placés dans le grand-duché. Surtout, il avait pour but de faire croire aux Russes que la principale attaque s’opérerait en avant de Varsovie, vers leurs provinces de Grodno et de Volhynie, afin d’attirer de ce côté leur attention et leurs forces. Tandis que ses ennemis, prenant le change sur ses véritables desseins, accumuleraient la plus grande partie de leurs troupes en face de Varsovie et de notre droite, il prononcerait son mouvement plus au nord, par sa gauche. Faisant longer