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Bologne, trahi par son neveu le plus cher, déchiré au plus profond de son âme par le meurtre de son favori Alidosi, humilié par Louis XII et Maximilien, qui avaient décidé sa déposition et convoqué contre lui un concile à Pise. Le mois suivant, il tomba malade ; tout le monde crut à sa fin, et les Colonna montèrent au Capitole pour y proclamer la république !… On sait comment le lion blessé se releva soudain dans toute sa vigueur, comment il fit face aux orages et sortit vainqueur dans l’année mémorable de 1512. Le lion, vous le retrouvez dans les deux portraits que Raphaël a faits de lui dans la Stanza voisine en cette année 1512 ; vous le retrouvez dans la Messe de Bolsène et surtout dans le Châtiment d’Héliodore.

Vous ne me demanderez pas d’entrer dans le détail de la Promulgation des Pandectes : nous sommes en présence d’une ruine complète, et la seule chose à y noter c’est cette intention de bas-relief romain dont j’ai déjà parlé. Je ne vous dirai pourtant pas : Guarda e passa ; je vous inviterai au contraire à vous poser à cette occasion une question bien troublante, bien douloureuse, et qu’on n’a encore jamais abordée en toute franchise. Que nous reste-t-il, au fond, de l’œuvre de Raphaël, de son travail propre, dans la Camera della segnatura ?… Sept ans après la mort de Santi, les hordes du connétable de Bourbon ont envahi cette stanza, y ont détruit les marqueteries de Giovanni da Verona, brisé les vitraux de Guillaume de Marseille, allumé un feu pour se chauffer — au mois de mai ! — et il est aisé d’imaginer la condition des fresques après une pareille visite. On les a restaurées alors pour la première fois. « Quel est le présomptueux et l’ignorant qui a barbouillé ces visages[1] ? » demandait ici même, en 1546, le Titien à Sébastien del Piombo, sans se douter qu’il parlait au restaurateur en personne. Hélas ! ces murs ont connu depuis lors encore plus d’un imbrattatore, et qui ne valait pas certes le fra Sebastiano… Je ne doute pas de la sincérité de Carlo Maratta lorsqu’il nous parle de son culte pour Raphaël ; mais j’ai le cœur serré chaque fois que je relis les Memorie de son élève Urbani sur les risarcimenti exécutés par son maître aux stances et sur le fameux « vin grec » qui y a fait merveille dans les nettoyages. — En feuilletant tout récemment le Voyage en Italie de Gœthe, j’ai été frappé de ses doléances sur l’aspect crasseux des peintures de notre Camera. Elles n’ont pas pourtant l’air si désolé aujourd’hui : on les a donc encore une fois « restaurées » depuis Gœthe, depuis 1787, probablement au commencement de ce siècle, — et cette fois en cachette

  1. Gli domandò chi era stato quel presuntuoso ed ignorante chi haveva imbrattati quoi volti ?… Lod. Dolce, Dialogo della pittura, 1557.