et fleuri des Muses, Raphaël semble uniquement donner carrière à sa fantaisie d’artiste, n’évoquer des images que pour le plaisir des yeux. Il n’en a pas moins écrit ici une grande page d’histoire, saisi au vif un des côtés essentiels d’une époque mémorable. Il nous fait sentir comment cette haute Renaissance comprenait la douceur de vivre, la joie de renaître…
Vous rappelez -vous le Parnasse de Mantegna du Louvre, une des plus délicieuses œuvres de ce maître illustre, une des plus charmantes reproductions d’un sujet mythologique vers la fin du quattrocento ?… Au-devant d’un rocher formant arcade, les neuf Muses exécutent leur danse au son de la lyre d’Apollon ; en face de ce dieu, à droite, Mercure s’appuie sur un Pégase aux ailes déployées et d’une invention magnifique ; tout en haut, sur le sommet de la grotte, Vénus, debout au pied de son lit, reçoit les adieux de Mars, tandis qu’à quelques pas de là, l’espiègle Amour dirige une sarbarcane sur Vulcain, qui sort menaçant de sa forge en dessous… Rapprochez par la pensée ce rêve printanier, ce conte des fées du grand Padouan, rapprochez-le de la fresque de Raphaël qui ne lui est postérieure que de quinze ou vingt ans. Point de rêveries ni de féeries dans le Parnasse de l’Urbinate : le monde mythologique y a sa présence réelle, actuelle ; ou pour parler plus juste, c’est le monde actuel, c’est la génération de l’artiste qui se sait et se complaît dans un âge d’or revenu sur la terre — Astræa redux ! Est-ce bien la montagne de Phocide qui est là devant nous ; n’est-ce point plutôt un de nos jardins si connus aux terrasses étagées et aux rochers rapportés ? Les hôtes de ces lieux enchantés ne vous font-ils pas l’effet des donne e cavalieri prenant le frais dans les bosquets du château d’Urbino, du château de Ferrare, de la villa de la reine de Chypre, et devisant sur les deux grands sujets de la vie d’alors, amore e cortesia ? On dirait un chapitre des Asolani de Rembo ou du Cortegiano de Gastiglione, — n’était, à gauche, en haut, ce vieillard aveugle et inspiré qui, bien plus que l’Apollon, domine tout le tableau et l’éclairé d’un rayon vraiment divin. Il fait résonner le clairon de l’Iliade dans ce milieu de Décameron, sans trop l’émouvoir, il est vrai.
Quelle figure que cet Homère, quel geste et quelle expression ! De stature presque colossale, et le visage merveilleusement illuminé par les ténèbres mêmes qui lui voilent le regard, le chantre ionien s’avance et entonne une de ses immortelles rhapsodies. Le jeune homme qui transcrit ses paroles ailées, — comparez-le avec l’Éclectique d’un côté, et de l’autre avec l’adolescent qui écrit sous la dictée de saint Augustin ! — s’oublie et s’arrête, saisi de ravissement ;