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dans les couloirs et empêchent qu’on ne passe trop brusquement d’une température à une autre. D’autres salles, grandes ou petites, rondes, carrées, avec des absides à leur extrémité, devaient servir aux divertissemens, aux entretiens, aux repas, à toutes ces occupations variées qui faisaient du bain un des plus grands plaisirs et des plus compliqués de la vie antique. Mais la partie la plus somptueuse et la mieux ornée est un atrium de près 10 mètres de long, séparé en trois compartimens par des colonnes de marbre ornées de chapiteaux corinthiens. L’atrium, qui devait être un lieu charmant de réunion et de promenade, donne accès à un grand bassin de natation entouré d’une galerie demi-circulaire. Cet ensemble, qui se composait de vingt et une pièces, devait former un édifice d’une commodité rare et d’une parfaite élégance. Toutes les salles étaient pavées de mosaïques qui furent trouvées dans un état merveilleux de conservation ; les débris des ornemens de marbre et de stuc qui devaient revêtir les murailles couvraient le sol.

En présence d’un monument si vaste et si riche, on a été d’abord tenté de croire que tant de dépense n’était pas faite pour une seule personne, et que c’étaient des bains publics qu’on avait découverts. Mais il est bien difficile de s’arrêter à cette opinion. Si ces bains étaient publics, à qui pouvaient-ils servir ? On ne connaît pas de ville romaine dans les environs ; les plus rapprochées sont à vingt ou trente kilomètres de distance. On n’a même trouvé, dans un rayon de plusieurs lieues, aucune ruine importante : il est donc vraisemblable qu’un seul domaine occupait toute la plaine. Le propriétaire, qui devait être fort riche, et qui sans doute y habitait avec sa famille, avait dû y réunir toutes les commodités de la vie ; c’est pour lui et pour les siens qu’il avait fait bâtir ce bel édifice, et nous n’avons pas lieu d’être surpris qu’il soit si vaste et si somptueux, quand nous songeons que dans toute l’étendue de l’empire, surtout en Afrique, les bains étaient devenus une nécessité pour tout le monde, et que les riches y déployaient un luxe extravagant. Sénèque raconte qu’étant allé visiter, à Literne, la villa du grand Scipion, il fut émerveillé de voir combien les bains y étaient simples, étroits, nus, obscurs. « Qui s’en contenterait aujourd’hui ? dit-il. Qui ne se croirait un mendiant s’il se baignait dans une salle dont les murs n’étincelleraient pas du feu des pierreries ? si le marbre d’Egypte n’y était incrusté de marbre de Numidie et encadré de mosaïques ? si le plafond n’était lambrissé de cristal ? si les piscines n’étaient taillées dans le marbre de Paros ? si l’eau ne coulait pas de robinets d’argent ? Et je ne parle encore que des bains du vulgaire : que sera-ce si nous en venons à ceux des affranchis ? Que de statues, que de colonnes