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du grand artiste envers ses doctes informateurs en matière d’histoire et d’archéologie.

Dans la Madonna di Foligno, Sigismondo de’ Conti, — que le père de Raphaël, le vieux Santi, glorifie déjà dans sa chronique rimée, — est représenté en donateur humblement agenouillé, perdu dans l’extase : figure admirable, à la taille élancée et à la tête osseuse, ascétique. On ne saurait imaginer de contraste plus grand avec ce camerier segreto de Jules II que le bibliothécaire du même pape : homme gros et gras, au visage plat et placide. Avec quel art ingénieux pourtant le peintre n’a-t-il pas su donner à Phædra un air de finesse qui approche presque de la distinction, tourner même un défaut physique de son modèle — le strabisme de l’œil gauche — en une qualité morale, en une expression de pensée concentrée ! Je parle, bien entendu, de l’exemplaire conservé à la Casa Inghirami de Viterbe ; celui du palais Pitti est, décidément, une copie faite par quelque artiste du Nord. Ici, à Rome, nous avons encore un autre portrait de Phædra exécuté par un peintre inconnu, nullement brillant, mais contemporain ; le gros bibliothécaire y est représenté dans un cadre extraordinaire et dans un moment bien critique de sa vie. Si vous allez un de ces jours à Saint-Jean-de-Latran, faites-vous-y ouvrir la dernière chambre de la sacristie et demandez à voir le « Masaccio », — car on tient là-bas absolument à posséder un Masaccio de l’an 1516 ! C’est un tableau de paysage et de genre très intéressant pour l’époque : à droite le Colisée, à gauche l’arc de Titus ; le milieu est occupé par une énorme voiture toute chargée de sacs de farine et traînée par des buffles que des bouviers armés de longues piques s’efforcent de faire reculer. Un petit mulet, drôlement dessiné en raccourci, s’enfuit du côté de l’arc, tandis que son obèse cavalier, un ecclésiastique, jeté par terre et pris entre les roues de la voiture, ne laisse voir que sa tête charnue et lamentable et ses mains potelées, dont l’une tient encore le bréviaire ! Au ciel, au-dessus du Colisée, apparaît le Christ avec les deux apôtres saint Pierre et saint Paul en mi-corps ; et l’inscription porte : Christo salvatori T. Phædrus tanto periculo ereptus. Dans le curieux livre de Valeriano « Sur l’infortune des hommes de lettres, » vous pouvez lire tout au long le récit de l’accident arrivé un jour en plein Forum au pauvre Inghirami. Il crut d’abord en être quitte pour la peur, et commanda l’ex-voto tragi-comique pour l’église de Saint-Jean, dont il était chanoine ; mais il ne tarda pas à succomber bientôt après aux suites de l’émotion éprouvée.

Je me suis laissé un peu entraîner par le souvenir de ce bon Phædra, auquel nous devons sans doute les inscriptions latines