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car, n’en déplaise à messieurs les novateurs, je persiste à reconnaître, avec Vasari, le Pérugin et non pas le Sodoma dans la figure de l’École d’Athènes qu’on voit à côté de Raphaël. Mais tout en procédant si manifestement du Cambio, quant à l’ordonnance des parties et à leur distribution pittoresque, combien la Segnatura en différait cependant par l’ampleur du sujet et la beauté de la forme ! À quel point chacun des détails ici proclamait le discipuhis supra magistrum ! À quel point la pensée générale de la Renaissance se révélait, dans la conception de cette Stanza, autrement puissante, fascinante, que dans l’essai de syncrétisme classique et biblique du Vannucci, essai timide et gauche, tout à fait provincial et ombrien !

— Aussi bien les grands humanistes du Vatican étaient-ils des esprits tout autrement larges et suggestifs que le brave professeur Maturanzio, secrétaire des décemvirs de Pérouse, qui a tracé son programme à Vannucci…

— Voilà encore une hypothèse, très en faveur auprès de nos écrivains modernes, mais au sujet de laquelle je dois faire mes réserves. Ces écrivains ne veulent pas admettre que Raphaël ait pu tirer de son propre fonds les peintures de la Segnatura, et ils s’obstinent à lui chercher des inspirateurs demeurés inconnus, promoteurs de programmes et accoucheurs d’idées, pour rappeler le mot de Socrate. Les uns, prenant à la lettre une phrase de Giovio : pinxit ad præscriptum Julii pontificis, sont arrivés à la conclusion folâtre que l’inspirateur, ce fut Jules II en personne ! — Vous imaginez-vous le pontefice terribile méditant le thème de la Dispute, creusant les données de l’École d’Athènes ? — D’autres critiques ont parlé, comme vous, des grands humanistes du Vatican, ont prononcé le nom de Castiglione, de Bembo, de Bibbiena ; mais déjà le consciencieux Passavant a fait l’observation qu’aucun de ces beaux esprits de la Renaissance ne se trouvait à Rome à l’époque où le jeune Santi y a commencé ses travaux. À cette époque, je n’aperçois guère d’autres humanistes dans l’entourage de Jules II — qui du reste se souciait fort peu des savans — que Sigismondo de’ Conti, son secrétaire intime, et le fameux Phædra Inghirami, son chapelain et ensuite son bibliothécaire, deux lettrés de mérite à coup sûr, mais esprits nullement transcendans et capables de tracer sa voie à un Raphaël. Cela n’empêche pas qu’ils n’aient pu lui devenir très utiles par leur érudition, par des renseignemens précieux sur tel docteur de l’Église ou tel philosophe de l’antiquité qu’il avait à mettre dans ses fresques. Deux œuvres remarquables de Raphaël : le portrait d’Inghirami et la Madonna di Foligno, composée comme on sait pour Sigismondo de’ Conti, furent très probablement les témoignages de reconnaissance