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Nous avons dit que les affaires de Pologne avaient brouillé le pape et le tsar en 1865 : il est assez significatif que ce soit une Encyclique adressée aux évêques polonais qui les ait rapprochés. Est-ce à dire que Léon XIII ait abandonné quoi que ce soit du passé de la Pologne et de celui du Saint-Siège dans leurs rapports réciproques ? Loin de là ! Le pape rappelle avec admiration l’histoire glorieuse de la Pologne, et il parle à plusieurs reprises du « peuple polonais » et de « la nation polonaise ». C’est au point que l’Encyclique avait été très mal jugée par les journaux italiens : d’après eux, elle ne pouvait qu’accentuer le différend entre le pape et le tsar. Heureusement, celui-ci ne s’arrête pas à la surface des choses. Il a été frappé, dans les instructions aux évêques, de l’accent d’autorité, doux mais ferme, avec lequel Léon XIII leur recommande de respecter les pouvoirs établis et d’y voir une émanation de la volonté divine. Il n’a eu garde de se tromper sur le sens de l’Encyclique, et la note évidemment officieuse du Journal de Saint-Pétersbourg en est la preuve. Il a compris de quel poids seraient les conseils du Saint-Père auprès des millions de Polonais de son Empire, et il s’est empressé de conclure le rapprochement. Les évêques polonais pourront désormais avoir des rapports directs avec le pape, c’est-à-dire aller à Rome, ce qui leur était jusqu’à ce jour interdit. On annonce déjà un prochain pèlerinage. Le tsar a peut-être aussi fait quelque comparaison entre l’attitude du Saint-Siège et celle du gouvernement italien à son égard. M. Crispi, sous prétexte que l’Italie est un produit du principe des nationalités, mais plus réellement pour se rendre agréable à l’Autriche, a pris à tâche, et il l’a dit très haut, de défendre envers et contre tous, comme s’ils en avaient besoin, la principauté et le prince de Bulgarie. Est-il permis de dire qu’il a un peu exagéré l’importance de son rôle dans les Balkans ? Mais si, en l’exagérant, il a plu à Vienne, il a produit un effet tout contraire à Saint-Pétersbourg. Les journaux italiens s’en aperçoivent un peu tard. Attribuer toutefois, comme ils le font, le rapprochement du pape et du tsar à un simple mécontentement de ce dernier, est donner à un fait considérable une bien petite cause. Il est vrai seulement que les petites causes elles-mêmes contribuent à produire un grand effet lorsque celui-ci est déjà tout préparé, et qu’il ne faut plus qu’un faible poids pour le déterminer.

Puisque nous parlons de l’Encyclique de Léon XIII aux évêques polonais, il faut mentionner aussi celle que, à la date du 20 juin, il a adressée « aux princes et aux peuples de l’univers. » La solennité avec laquelle il s’exprime montre la valeur qu’il attache à ce document, où il semble avoir déposé sa pensée suprême. Le Pape, qui a rapproché le Saint-Siège de la République française et de l’Empire de Russie, conçoit dans son ardente imagination bien d’autres rapprochemens encore ! Il invite tous les princes et tous les peuples schismatiques, hérétiques