effectivement. Les affaires de Pologne ont servi de prétexte au désaccord. Est-il vrai, comme l’assurent les journaux religieux, que M. de Meyendorff se soit laissé entraîner dans la discussion au delà des bornes permises ? Nous n’en savons rien, mais certainement un fait pareil ne se serait pas produit si le chargé d’affaires de Russie avait eu Léon XIII pour interlocuteur. Pie IX n’avait pas seulement toutes les vertus, il avait encore beaucoup d’esprit ; par malheur, il était absolu dans ses opinions, véhément dans sa parole, et il ignorait l’art qu’a si habilement pratiqué son successeur de diviser les questions qu’on veut résoudre, de les prendre d’abord par leur côté le plus accessible, et de marcher d’étapes en étapes jusqu’au but qu’on s’est proposé.
Depuis qu’il est sur le trône pontifical, Léon XIII a su profiter de toutes les circonstances qui se sont offertes ou qu’il a provoquées pour établir entre le tsar et lui, d’abord des rapports personnels, et ensuite des rapports officieux. Il y a six ans, M. Alexandre Iswolsky a été chargé de lui apporter une lettre autographe de l’empereur et de le féliciter à l’occasion de ses noces d’or épiscopales. À partir de ce moment, M. Iswolsky est resté à Rome, où il s’est conduit avec beaucoup de réserve et de tact, attendant l’heure où sa présence officieuse revêtirait enfin un caractère officiel. L’heure a sonné ; le rapprochement a eu lieu ; M. Iswolsky est désormais chargé d’affaires de Russie auprès du Vatican. Cette heureuse solution a produit une vive impression dans le monde italien, où l’on n’a pas hésité à attribuer aux bons offices de la diplomatie française une part de mérite dans ce succès. Nous ignorons dans quelle mesure notre diplomatie a pu aider à ce rapprochement, mais, en tout cas, nous devons nous en féliciter. Si nos radicaux jugent l’occasion opportune pour proposer une fois de plus la suppression de l’ambassadeur de la République auprès du Saint-Siège, notre ministre des Affaires étrangères trouvera dans l’exemple de la Russie un argument de plus à leur opposer. La lecture des journaux de la Triple-Alliance suffirait d’ailleurs à montrer l’heureuse gravité de l’événement ; elle pourrait même nous porter à l’exagérer. Mieux vaut s’en rapporter au Journal de Saint-Pétersbourg, qui s’exprime sagement en ces termes : « L’importance du rétablissement des relations officielles entre la Russie et le Saint-Siège n’échappera à personne. Cet événement est à la fois la preuve d’un état de choses normal et régulier et un gage de paix et de bonne entente pour l’avenir. C’est grâce aux nobles intentions du pape et à son esprit de conciliation que le rétablissement des relations officielles avec le Vatican est devenu possible et désirable et qu’il a une importance toute spéciale. Il exercera certainement une influence salutaire sur les populations catholiques de l’empire russe, parce qu’il contribuera à maintenir dans le clergé et chez les fidèles les sentimens de dévouement envers le Souverain que le Chef spirituel de l’Église catholique a recommandés récemment dans l’Encyclique adressée aux évêques polonais.