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le nombre des voix qu’il avait obtenues, ainsi que ses concurrens. Un grand silence s’est fait. Aussitôt que M. Challemel-Lacour a eu proclamé le chiffre des 451 voix attribuées à M. Casimir-Perier, les applaudissemens ont éclaté dans les deux tiers de la salle avec un ensemble et une chaleur qui ont mis les radicaux dans une véritable fureur. On les a vus se lever à l’extrême gauche, vociférer des menaces qu’on entendait à peine, et montrer le poing à l’Assemblée qui ne cessait d’applaudir. Quelques-uns d’entre eux, une fois terminée la proclamation du scrutin, sont montés à la tribune pour y apporter diverses protestations. Puis la séance a été levée. La République avait un nouveau président pour sept années. C’est un lourd fardeau que celui qui incombe à M. Casimir-Perier, et nul ne s’en rend compte mieux que lui. Il venait d’arriver à Versailles lorsque les résultats du scrutin ont été connus : un grand nombre de membres du Congrès sont allés le remercier de son dévouement et ont été frappés de sa profonde émotion. La plus sûre garantie de la manière dont il remplira ses devoirs est dans le sentiment avec lequel il les accepte. D’autres ont recherché le pouvoir ; il a voulu le fuir, et on le lui a imposé. Gambetta a dit autrefois que l’ère des dangers était terminée, que celle des difficultés commençait. L’ère des difficultés ne finira plus ; mais si celle des dangers se rouvrait, la République et la France compteraient sur le sang-froid et sur le courage de M. Casimir-Perier.


L’événement le plus digne d’attention qui se soit passé à l’étranger depuis quelques jours est le rapprochement diplomatique entre la Russie et le Saint-Siège. Il a produit d’autant plus d’effet qu’on commençait à ne plus y croire. Du moins, les journaux de la Triple-Alliance donnaient-ils le fait comme de plus en plus invraisemblable, sans doute en vertu de cette facilité avec laquelle on prend son désir pour la réalité. Tout en reconnaissant l’élévation d’esprit du Saint-Père et la souplesse de son action diplomatique, on présentait volontiers comme impossible la reprise des rapports officiels entre le Vatican et la plus grande puissance schismatique du monde. Ces rapports ont pourtant existé autrefois ; ils se sont même poursuivis pendant de longues années, au grand avantage des intéressés ; mais ils ont été rompus il y a vingt-huit ans, et à partir de ce moment toutes les tentatives pour les renouer avaient échoué. Ce serait une intéressante, mais trop longue histoire à raconter que celle des relations de la Russie et du Saint-Siège, puis de leur interruption, et on serait assez embarrassé pour attribuer exclusivement à l’une ou à l’autre des deux parties la responsabilité de la rupture. Ni le représentant de la Russie à Rome en 1865, le baron de Meyendorff, ni le pape lui-même, qui était alors Pie IX, ne brillaient par les qualités diplomatiques. Entre l’un et l’autre, les chocs devaient être irréparables, et ils l’ont été