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petite minorité ? Cet incident n’a pas peu contribué à déterminer le mouvement dans le sens de M. Casimir-Perier.

Ce qui y a contribué plus encore, ce sont les nouvelles venues de tous les points de la province et qui étaient universellement favorables à l’élection de ce candidat. Plusieurs députés radicaux laissaient voir avec quelque embarras des dépêches envoyées par des maires ou des conseillers généraux, qui leur demandaient en termes pressant de voter pour M. Casimir-Perier, c’est-à-dire pour le président que tout le monde attendait. Le mouvement en faveur de sa candidature a toujours été en grandissant. Quelques personnes avaient cru d’abord que le retard apporté à la convocation du Congrès faciliterait des intrigues ou des manœuvres, et c’est précisément le contraire qui s’est produit. On a reproché à M. Challemel-Lacour d’avoir fixé une date relativement éloignée, et il s’est trouvé en fin de compte qu’il avait eu raison de le faire. Non seulement les députés et sénateurs absens ont eu le temps de rejoindre leur poste, mais l’esprit même du pays a pu se faire sentir à ceux qui n’avaient pas quitté Paris. Les radicaux affectaient de croire que M. Casimir-Perier ne serait pas élu au premier tour de scrutin, et ils affirmaient que, dans ce cas, il était perdu. Très probablement, au contraire, s’il y avait eu un second tour, M. Casimir-Perier aurait obtenu une centaine de voix de plus, soit par suite du désistement inévitable de M. Dupuy, soit par le fait de cet entraînement auquel les assemblées échappent encore moins que les hommes isolés, et qui pousse tout le monde vers le succès. La victoire de M. Casimir-Perier au premier tour de scrutin a eu quelque chose de plus vif, de plus net et de plus décisif : il y aurait eu plus de vainqueurs encore à un second tour.

La tenue de l’Assemblée nationale a été excellente. La séance a été présidée avec la plus grande autorité par M. Challemel-Lacour, et ce n’est pas un faible mérite, si on le mesure à la difficulté à vaincre, que de bien présider une assemblée de plus de 850 membres, représentant les idées et les passions les plus contradictoires. L’Assemblée nationale réunie pour nommer le Président de la République procède comme un collège électoral : elle ne délibère pas, elle vote. Mais il y a toujours des orateurs qui veulent parler et qu’il faut en empêcher. Quelques radicaux trouvaient l’occasion bonne pour proposer la suppression de la présidence de la République, ce qui aurait naturellement dispensé d’y nommer un titulaire. Pendant qu’ils s’agitaient impuissans au milieu du bruit, M. Challemel-Lacour tirait tranquillement au sort les noms des scrutateurs chargés de dépouiller le scrutin qui allait s’ouvrir. Les membres du Congrès ont voté à la tribune, par appel nominal et dans un ordre parfait. La séance a été suspendue pendant le dépouillement. Lorsqu’elle a été reprise, le spectacle était imposant. Si on savait déjà que M. Casimir-Perier était élu, on variait sur le