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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 juin.


M. Carnot, président de la République, a été assassiné, à Lyon, le dimanche 24 juin, dans la soirée. « Le roi est mort, vive le roi ! » disait-on sous l’ancien régime, et aujourd’hui encore, bien que la France soit en république, la Constitution a tenu à ce que le moins de temps possible s’écoulât entre la disparition d’un président et l’élection d’un autre. La transmission des pouvoirs présidentiels s’est toujours faite d’une manière simple, facile et rapide : il en a été ainsi une fois de plus. L’Assemblée nationale s’est réunie à Versailles le mercredi 27 juin, et, dès le premier tour de scrutin, M. Casimir-Perier, ayant réuni sur son nom la majorité absolue des suffrages exprimés, a été proclamé Président de la République. Il a obtenu 451 suffrages. Après lui sont venus M. Henri Brisson avec 195, et M. Charles Dupuy avec 97.

L’assassinat de M. Carnot a causé dans le monde entier un mouvement de sympathie pour la victime et de profonde horreur pour le crime. En même temps, la surprise a été grande. Les républicains s’imaginaient volontiers que, le Président de la République étant un être impersonnel et relativement facile à remplacer, un attentat contre lui était impossible à force d’être inutile. Un fanatique pouvait viser un empereur ou un roi dans l’espoir de frapper la monarchie elle-même, et quelquefois d’éteindre la dynastie qui la représente. Mais la république a un tout autre caractère : l’homme qui la préside n’exerce qu’un pouvoir provisoire, et, s’il est atteint, l’institution n’en subit aucun contre-coup. C’est bien peu de chose qu’un président ! disent aussi les adversaires de la RépubUque, et ils le prouvent comme on prouve une thèse. Mais tel n’est pas l’avis de Caserio et des hommes d’action de son espèce. Pour eux, le Président de la République est un homme assez important pour qu’on le tue. Ils incarnent en lui la société qu’ils détestent : ils en font la cible sur laquelle ils tirent, victime vouée d’avance à leurs attentats. Sa qualité représentative prend à leurs yeux une valeur objective contre laquelle ils entrent en lutte. Si le Président de la République est l’homme du devoir et de la loi, s’il échappe à certaines faiblesses, s’il ne se laisse pas intimider par d’odieuses menaces, s’il remplit avec correction et fermeté sa fonction politique