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souvenir de sa révolution que celui d’un grand homme qui avait racheté ses péchés en assurant à son pays l’empire des mers. Comme le remarque fort justement M. Bucher, la restauration abolit des statuts, abrogea des règlemens, mais elle ne put avoir raison de certaines idées qui s’étaient enracinées dans les esprits. Il en cite un exemple singulier et frappant. Le roi Jacques Ier, ce Salomon du Nord, surnommé par Sully le fou le plus avisé de l’Europe, voyageait dans le Lancashire lorsqu’il apprit un jour que le comté était infesté de fanatiques, qui s’abstenaient de travailler et de se divertir le dimanche. À son retour, il promulgua un édit par lequel il déclarait que ce genre de célébration du dimanche était dangereux pour l’État, parce que les gens qui ne travaillent ni ne s’amusent emploient leur temps à rêvasser et à se repaître de mauvaises pensées ; compromettant pour la religion, parce que les hommes ne peuvent aimer une religion qui leur prêche l’ennui comme une vertu ; funeste à la société, parce que l’oisiveté conduit fatalement à l’ivrognerie ; déplorable pour l’armée, parce qu’un peuple qui ne danse pas une fois au moins par semaine ne tarde pas à s’abâtardir. Il fut enjoint aux autorités ecclésiastiques et séculières d’avertir les mal-pensans et au besoin de les expulser. Cette ordonnance, intitulée le Book of sports, renouvelée par Charles Ier, fut brûlée par la main du bourreau sur l’ordre du Long Parlement. C’est ainsi que l’observance légale et stricte du repos dominical, cette institution considérée aujourd’hui comme un des piliers du trône et de l’autel, est un héritage de la république.

Mais la révolution a laissé bien autre chose aux Anglais ; elle leur a légué le dogme de la souveraineté du peuple, qui, après avoir été prêché par des rêveurs et des spéculatifs, est devenu la doctrine latente, ésotérique de l’État. L’Angleterre est désormais gouvernée par une assemblée à qui tout est possible, sauf de changer un homme en femme, et qui, cédant à la passion qu’ont tous les mandataires d’étendre sans cesse leur mandat, légifère sur beaucoup de choses qui n’étaient pas autrefois de sa compétence. De jour en jour elle entreprend, empiète davantage sur tous les droits réservés, et les solutions qu’elle propose ou qu’elle impose sont toujours les plus démocratiques.. « Er France, a dit M. Bucher, tout est système ; en Angleterre, tout est compromis. » Pour être tout à fait dans le vrai, il convient d’ajouter que les compromis anglais ne sont souvent que des systèmes déguisés.


G. VALBERT.